2025 marches à suivre
Entre grands discours et réalité qui patine, 2025 fut une année de paradoxes pour le handicap. Le journaliste Malick Reinhard dresse la rétrospective d’un millésime où les promesses se sont empilées aussi vite que les obstacles.
On se souviendra de 2025 comme d’un millésime au goût de bouchon, une année de contradictions flagrantes où l’on a passé notre temps à applaudir des discours étincelants tout en gardant les roues embourbées dans la gadoue du réel. Jamais les tribunes n’ont été aussi hautes, jamais les estrades aussi inaccessibles, créant un vertige constant entre les annonces et le terrain. D’un côté, la fanfare des symboles battait son plein avec l’European Accessibility Act, qui débarquait fin juin comme un messie bureaucratique, accompagné de ce raout monstre à Berlin — le Global Disability Summit — où 4 700 âmes de 160 pays sont venues jurer, la main sur le cœur, que le monde changeait enfin de base.
De l’autre côté du miroir, la réalité crasse du quotidien persistait pour 1,3 milliard d’humains, soit 16 % du globe, qui attendent toujours que les promesses de l’ONU, signées par 193 États, traversent le mur du son pour atterrir dans leur vie. C’est tout le paradoxe de cette année : les traités s’empilent sur les bureaux feutrés des ministères, tandis que l’application effective se heurte encore et toujours à des obstacles structurels aussi vieux que nos démocraties, transformant chaque droit acquis en une course d’obstacles administrative.

Couper l’herbe sous les roues vous propose de parcourir l’année 2025 !
Pour découvrir le résumé d'un mois, cliquez simplement dessus.
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Janvier
Assistance en gare (CH) • Ski para-alpin • Nouveau gouvernement (BE) • Fin d'un budget d'assistance
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Février
Remboursement des fauteuils annoncé (FR) • Invictus Games • Coupes budgétaires (CA) • Mobilisations
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Mars
20 ans de la loi 2005 (FR) • Victoire judiciaire (CH) • Special Olympics • Plan fédéral Handicap (BE)
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Avril
Sommet mondial du handicap à Berlin • Revalorisation des allocations • Quotas d'emploi • Métro accessible
🎿 Janvier
L’horlogerie du flocon
L’année a démarré dans le froid helvétique, avec ce mélange typique d’efficacité horlogère et de cynisme poli, illustré par le lancement de « CFF Assist » par les CFF (les Chemins de fer fédéraux suisses). Ce service étend l'aide à la montée et descente du train en permettant désormais aux voyageuses et voyageurs en situation de handicap d'être accompagnés ailleurs dans la gare, par exemple pour changer de quai ou rejoindre la sortie. S'il est gratuit, il exige tout de même (toujours) de planifier son besoin de voyager une à deux heures à l'avance. Pendant que Théo Gmür, bronzé et vaillant, claquait une troisième place en Coupe du monde de handiski à Saint-Moritz, prouvant que la glisse est parfois plus fluide que la marche, Inclusion Handicap (la coupole qui réunit les associations suisses de défense des droits des personnes handicapées) soufflait ses dix bougies, rappelant que la décennie écoulée n'avait pas suffi à lisser toutes les aspérités du système fédéral.
Au même moment, Bruxelles s’enfonçait dans la brume politique avec la formation du gouvernement Arizona (la coalition fédérale belge) et l’accouchement d’un ministre dédié au handicap, Rob Beenders, qui héritait d’un dossier brûlant où le numérique laissait encore trop de monde sur le carreau. La fracture était palpable : alors que le projet pilote BAP (Budget d’Assistance Personnelle, une somme allouée pour payer ses propres aidants) prenait fin en laissant 200 personnes sur le carreau à attendre un financement comme on attend Noël, une statistique tombait comme un couperet : seules 116 gares sur 555 en Wallonie-Bruxelles étaient réellement accessibles. De quoi transformer le simple acte de prendre le train en expédition punitive.
📢 Février
L’influenceur de l’Élysée et les ciseaux québécois
Février a vu le président Macron se muer, une fois encore, en influenceur sur TikTok, promettant, dans une vidéo inaccessible aux personnes sourdes et malentendantes, le Graal absolu : le remboursement intégral des fauteuils roulants, une réforme à 160 millions d’euros (149 millions de francs suisses environ) pour soulager le portefeuille de plus d’un million de personnes. C’était beau comme un journal officiel imprimé à l’aube, et la place de la République à Paris a vibré sous les roues du rassemblement « Faisons bouger la République ! », comme pour s’assurer que cette promesse ne s’envolerait pas avec les likes une fois la vidéo passée.
@emmanuelmacron Oui, vos fauteuils roulants sont trop peu remboursés. On change cela. @Arthur Baucheron @Charlotte ♬ son original - Emmanuel Macron
À Vancouver, au Canada, l’international jouait les héros, là où les Invictus Games célébraient la résilience de 534 vétérans de guerre, devenus handicapés sous les bombes, offrant une parenthèse de gloire loin des tracas administratifs habituels. Une ambiance festive qui contrastait sévèrement avec le climat québécois, où le gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) jouait du ciseau dans les programmes sociaux, provoquant la colère du RAPLIQ (Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec).
⚖️ Mars
Handistreaming et justice aveugle
Le printemps est arrivé avec ses bourgeons et ses décisions de justice, notamment à Lausanne, en Suisse, où le Tribunal fédéral (l’autorité judiciaire ultime du pays) a dû rappeler à une haute école zurichoise qu’être aveugle n’empêche pas d’enseigner. Une évidence qu’il faut apparemment marteler à coups d’arrêts juridiques pour qu’elle imprime. En France, François Bayrou, alors encore officiellement Premier ministre, célébrait les 20 ans de la loi de 2005 (le texte fondateur sur le handicap) — un gâteau d’anniversaire au goût un peu rassis —, tout en promettant la création d’un « service public de diagnostic précoce » pour 2026, repoussant encore une fois à demain ce qui aurait dû être fait hier.
Sur la scène internationale, Turin (Italie) accueillait les 12e Special Olympics d'hiver, rappelant la puissance du sport pour les personnes avec une déficience intellectuelle, tandis que l’ONU tenait salon à Genève pour examiner les copies du Canada et de l’Union européenne sur leur application des droits des personnes handicapées. C’est dans ce contexte que Rob Beenders, ministre belge en charge du handicap, a sorti le « handistreaming » de son chapeau à Bruxelles. Un mot barbare et technocratique pour dire qu’on va désormais penser au handicap dans toutes les politiques publiques (transports, culture, emploi…), un concept magnifique sur le papier qui attend encore de faire ses preuves sur le terrain.
🪙 Avril
Sur le fil des comptes d’apothicaire
Avril fut le mois des poissons et des comptes d’apothicaire, avec une AAH (allocation aux adultes handicapés, prestation financière versée en France) grimpant péniblement de 1,7 % pour atteindre 1 033 euros (960 francs suisses environ). Un montant calculé au millimètre qui reste pourtant 200 euros sous le seuil de pauvreté, comme pour dire : « Prends ça et ne te plains pas ». En Belgique, on tentait de rattraper le temps perdu avec un plan d’action pour la fonction publique, espérant atteindre enfin ce fameux quota de 3 % d’employés handicapés d’ici 2028. Un objectif légal qui date de 2005 et qui ressemble de plus en plus à un mirage dans le désert administratif.

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Loin des calculs (ou pas), Berlin accueillait son sommet mondial du handicap, accouchant de la déclaration « 15 % pour les 15 % », une belle formule mathématique visant à injecter de l’inclusion dans les programmes d’aide internationale. À Montréal, à Québec, on fêtait la mise en accessibilité de la station Atwater, portant le total à 30 stations sur 68, illustrant parfaitement ce verre à moitié plein — ou ce puits à moitié vide — qui caractérise l’avancée des infrastructures urbaines.
🗳️ Mai
Urnes ouvertes et âmes brisées
Mai a offert un moment de grâce démocratique à Berne, en Suisse, où le Conseil national (la chambre basse du pays) a voté pour que les 16 000 personnes sous curatelle (une mesure de protection qui prive souvent de droits civiques) puissent enfin glisser un bulletin dans l’urne. Mais l’ambiance s’est vite refroidie avec les statistiques de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), nous rappelant froidement que la moitié des nouvelles rentes AI (Assurance-invalidité helvétique) sont désormais liées aux handicaps psychiques, symptôme d’une société qui broie ses ouailles en silence.
Alors que Nottwil, toujours en Suisse, accueillait l'élite mondiale du para-athlétisme, voyant ses stars Catherine Debrunner et Marcel Hug confirmer leur statut d'intouchables sur la piste, la France voyait passer une caravane baptisée « Liberté, Égalité, Accessibilité ». Cette initiative itinérante tentait de réveiller un pays assoupi sur ses lauriers législatifs vieux de deux décennies, rappelant que la devise républicaine (Liberté, Égalité, Fraternité) sonne encore faux pour 12 % de la population du pays.
💻 Juin
La piste aux étoiles numériques
Juin restera gravé dans le marbre numérique avec l'entrée en vigueur de l'European Accessibility Act. C'est le grand soir de la conception numérique pour tous, une directive qui impose enfin l'accessibilité des sites de e-commerce et des services bancaires pour 87 millions d'Européennes et Européens. La Suisse, elle, regardait la fête par la fenêtre : ses entreprises devront s’y plier pour exporter, mais, à l’intérieur, le gouvernement pondait un contre-projet à l’Initiative pour l’inclusion — une initiative citoyenne demandant l'inscription de l'égalité de droits et de faits pour les personnes handicapées dans la Constitution —, jugé « beaucoup trop restrictif » par les associations, excluant, selon elles, les trois quarts des personnes concernées.

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Sur le terrain, les avancées se faisaient plus modestes, mais concrètes, avec Pro Infirmis (principale association de défense des droits des personnes handicapées en Suisse) imposant un quota de 40 % de personnes concernées dans son propre comité de direction, une leçon de cohérence. Les CFF, quant à eux, sortaient le « cordon tournesol » (ou « Sunflower Lanyard » dans 16 gares, un collier vert décoré de tournesols pour signaler discrètement un besoin d'aide (souvent pour des handicaps invisibles), rappelant que près de 80 % des personnes en situation de handicap vivent avec un handicap dit « invisible ».
🚂 Juillet
Le train sifflera trois fois… plus tard
Des trains, encore. L’été fut chaud et la douche froide a fait du bien, car l’Office fédéral suisse des transports (OFT) a dû avouer l’inavouable : la Suisse a raté sa mission et n’a pas respecté le délai légal de 2023 pour rendre accessibles toutes les gares publiques du pays. La mise en conformité de 312 gares (sur 1 800) est repoussée à 2028 — au moins. Ce constat d’échec, chiffré et officiel, confirme que le temps de la loi n’est décidément pas celui du rail, et que l’accessibilité autonome reste une destination lointaine pour près de 22 % des voyageuses et voyageurs.
Outre-Atlantique, le Canada versait ses premiers 200 dollars de la nouvelle Prestation handicap, une somme jugée risible par les syndicats, qui y voient une aumône incapable de sortir 1,6 million de personnes handicapées de la misère. En écho à cette lenteur, la Wallonie adoptait sa stratégie « Accessibilité à 15 ans », promettant une amélioration progressive des bâtiments pour un futur si lointain qu’il en devient presque abstrait.
✂️ Août
Le cartable vide et l’inclusion au rabais
Août a frappé fort en Belgique francophone avec l’annonce brutale d’une coupe de 9 millions d’euros (8,4 millions de francs suisses environ) dans l’accompagnement scolaire, entraînant la suppression sèche de 170 postes de professionnels. Ce « scandale » politique, dénoncé par le Parti socialiste (PS) et attaqué en justice par l'UNIA (l’institution publique de lutte contre la discrimination), a plongé des milliers de familles dans l’angoisse d’une rentrée sans filet, illustrant la fragilité des acquis face aux économies budgétaires.

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À Genève, dans ses bureaux, l'ONU s'inquiétait pour des zones de conflit comme Gaza, publiant un rapport préoccupant sur la vulnérabilité des personnes handicapées en zones de guerres, tandis qu'en France, les chiffres de l'Éducation nationale tombaient à l'approche de la rentrée. Si le nombre d’élèves en situation de handicap en classe ordinaire explose, la qualité de l’accueil reste le grand impensé, posant cruellement la question de l’inclusion « low-cost » où la présence physique de l’enfant ne garantit pas son apprentissage.
🏅 Septembre
L’or au cou, le CV à la poubelle
La rentrée de septembre avait des airs de gueule de bois sportive et sociale, alors que 1 100 para-athlètes suffoquaient sous la chaleur de New Delhi (Inde) pour des Mondiaux historiques où les Belges Peter Genyn et Léa Bayekula ont raflé l’or en sprint fauteuil. Mais, loin des podiums, la Suisse parlait gros sous (ça, elle sait faire) avec une motion parlementaire visant à faire des économies sur le dos de l’AI pour payer les dettes de l’AVS (le pilier retraite) : une logique de vases communicants qui inquiète profondément les milieux associatifs.
En France, la réalité du marché du travail se rappelait à nous via un testing impitoyable mené par APF France handicap, confirmant que le handicap reste le premier motif de discrimination à l'embauche. Les chiffres sont têtus : mentionner un fauteuil roulant sur son CV reste, en 2025, le moyen le plus sûr de voir son dossier finir à la corbeille, réduisant les chances de réponse de plus de six points.
🏫 Octobre
Tri sélectif et armée fantôme
Octobre fut le mois des constats amers et des rappels à l’ordre, l’ONU devant taper sur les doigts de la Suisse pour empêcher l’exil forcé d’une élève de 10 ans vers une école spécialisée. Une mesure provisoire assez inédite qui sonne comme un camouflet pour le modèle suisse du « tri sélectif » scolaire. Pendant ce temps, la consultation sur le contre-projet à l’Initiative pour l’inclusion s’achevait dans la douleur ; les critiques restaient vives face à une proposition jugée frileuse et déconnectée des besoins réels.
En France, une commission d’enquête parlementaire lâchait une bombe statistique : 48 726 élèves attendaient toujours leur AESH (les accompagnantes et accompagnants d’élève en situation de handicap), malgré une notification officielle. Une armée fantôme d’enfants sans aide, en hausse de 35 %. On recrute, on bricole, on annonce des milliers de postes, mais le navire prend l’eau de toutes parts, laissant près d’un élève notifié sur sept sans solution concrète au quotidien.
📸 Novembre
La gifle et la photo corporate
Novembre a illustré la fracture suisse de manière spectaculaire lors des votations cantonales, où le canton de Vaud a refusé massivement, à 71,3 %, le droit de vote des personnes sous curatelle. Une gifle démocratique, justifiée par on ne sait quelle crainte. À l’inverse, Zoug, ce paradis fiscal souvent décrié pour son conservatisme, a dit « oui » à la même question, rejoignant, entre autres, Genève dans le camp des progressistes et dessinant une carte du pays aux frontières morales illisibles.

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Pendant ce temps, Tokyo (Japon) célébrait la culture sourde avec les Deaflympics et une moisson de médailles françaises, tandis que l'Hexagone s'offrait sa traditionnelle journée DuoDay. Ce moment annuel, où l’on invite une personne handicapée au bureau comme on inviterait un cousin de province pour découvrir le « vrai monde », reste une parenthèse sympathique, mais souvent sans lendemain, une fois les photos postées sur les réseaux sociaux d’entreprise.
🦽 Décembre
Victoire sur roues et fin de partie
Décembre a sonné le clap de fin avec une victoire majeure en France : l’entrée en vigueur du remboursement des fauteuils roulants — celui promis sur TikTok en février —, une avancée majeure qui supprime enfin l’angoisse de l’avance de frais pour des milliers de familles.
En parallèle, Genève, en Suisse, lançait son initiative « Tous ensemble à l’école ! » et la Belgique comptait ses chômeuses et chômeurs handicapés avec un écart abyssal de 33 points par rapport au reste de la population (45 % de taux d'emploi contre 78 %), selon Statbel (l’Office belge de statistique), rappelant que le chemin vers l’emploi est encore long.
Au final, 2025 — comme 2024, d’ailleurs — nous laisse avec un goût d'inachevé et une question lancinante pour l'année à venir. La réforme française des fauteuils ou l’harmonisation européenne prouvent que le changement est possible lorsque la volonté politique s’aligne avec les budgets, mais les reculs en Suisse ou en Belgique montrent la fragilité de ces édifices.

Lire la rétrospective 2024…
2026 ne devra plus se contenter de poser la question de la légitimité des droits, mais devra répondre à une interrogation bien plus brutale et pragmatique : à quoi sert un droit s’il reste coincé sur le quai, attendant une rampe… qui n’arrivera (peut-être) qu’en 2028 ?
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