Y'a pas tant le temps…
Le temps, cette dimension subjective qui rythme nos vies, prend une tout autre dimension pour les personnes en situation de handicap. Malick Reinhard dévoile, sans chercher midi à quatorze heures, les défis quotidiens d'une vie chronométrée à la minute près.
- La gestion du temps pour une personne en situation de handicap implique un équilibre complexe entre besoins personnels, travail et gestion des aides, illustrant les défis quotidiens pour maintenir une vie active.
- En Suisse, l'assurance invalidité (AI) finance la perte de gain due à la situation de handicap en se basant sur un minutage des activités quotidiennes, allouant, pour certaines personnes, un certain nombre d'heures d'assistance par mois.
- Le temps de travail standard en Suisse est de 42 heures par semaine pour un emploi à temps plein.
Excusez-moi, mais vous avez cinq minutes ? C’est pour une chronique. Vraiment, je ne vous prends pas beaucoup de votre temps, précieux. Promis. Même si je sais qu’il y a beaucoup de chance pour que vous soyez en train de pester dans les bouchons, direction le Paléo Festival…
C’est juste que, chaque année, au moment des trêves estivales, on semble toujours remettre en question la vitesse subjective de l’écoulement des jours. « Non, mais attends, s’te plaît… faut juste que j’rende ce PowerPoint à Rochat avant 16 heures ! », « Faudra p't-être penser à vous dépêcher, mon avion va pas m’attendre, moi… », « Ouais chéri, tu peux pas juste commencer à faire la valise du p’tit ? J’dois encore appeler ma cheffe avant ses vac's à Ko Samui, là ! » *Placer ici votre meilleur accent vaudois… ou genevois*
Mais il faut aussi reconnaître que, paradoxalement, il n’y a a pas si longtemps, un triste jour de mars 2020, le temps s’est arrêté, durant un temps. Suspendu. Dans le temps. Tic… Tac… Parler du Covid, cela était pratiquement devenu un TOC. Comme par magie, celui-ci a, pour ainsi dire, remplacé nos échanges phatiques sur la météo. Le temps. Qu’il fait. Eh oui, encore lui. À tout instant.
⏲️ « Combien de temps pour… »
Le temps, cette fameuse dimension, selon laquelle s’opère tout changement, m’a toujours fasciné. Subjectif. Et, à la fois, tellement figé. 24 heures. 1440 minutes. 86 400 secondes. Une marge durant laquelle il va falloir placer « toutes ces choses qu’il faut faire ». Alors, quand on est en situation de handicap, on a forcément un rapport biaisé à la temporalité. Comment « tout faire » en deux tours de cadran, quand une simple douche prend déjà une heure ?
Faisons un peu de ressources humaines (personne n’a dit que cette chronique deviendrait fun). Mon taux de travail est actuellement d’environ 60 à 65 %. Soit 27 heures hebdomadaires consacrées au journalisme. Pourtant, ce n’est pas faute de vouloir faire plus, non. Mais, soyons réalistes. Si je souhaite pouvoir conserver ce pourcentage, je dois impérativement consacrer 20 % supplémentaires à la gestion des huit auxiliaires de vie qui rendent cela possible. Nous atteignions les 80 %. Pour pouvoir en faire 60.
Quid du reste ? Le reste, vous savez : l’hygiène, l’alimentation, la logistique, les choses de la vie. Dans le système helvétique des assurances sociales, l’assurance invalidité (AI) finance, par le biais d’une rente, la perte de gain causée par cette logistique chronophage. Pour ce faire, elle se base sur un minutage. Un mot tout à fait mignon, n’est-ce pas ? « Combien de temps pour… », telle est la question. Alors, essayons quelque chose. Comparons notre gestion, probablement très inégale, du temps. Ci-dessous, quatre questions. Tâchez d’y répondre avec un maximum de franchise.
💸 Le temps, c’est de l’argent ?
Un brin naïf comme questionnaire, n’est-ce pas ? Pourtant, je me suis levé cette semaine à 7 heures, pour être prêt à travailler aux alentours de 9 heures. Jusqu’ici, rien de transcendant. Mais j’ai oublié de vous dire que je suis actuellement en télétravail. Pas de temps de déplacement, donc. Je n’ai pas eu le temps de déjeuner, non plus. Juste celui de boire un café, en vitesse, avant mon premier rendez-vous. Alors, résumons : pas de déplacement, pas de petit-déjeuner, une tenue décontractée, tout au plus, une douche « rapide » et un brossage de dents. Deux heures, pour la moindre de l’hygiène. Pour le minimum syndical du confort et du respect de soi et des autres.
Pour un repas, ce sera la même. Manger sur le pouce : impensable. Il me faudra au minimum 35 à 40 minutes. Et puis, se préparer pour dormir, voilà qui n’est pas trop difficile. Mais c’est sans compter sur le reste (comme le temps, il revient toujours) : me passer du fauteuil roulant aux toilettes (+5 minutes), puis des toilettes au lit (+5 minutes), puis me déshabiller (+10 minutes), avant de me positionner confortablement pour dormir (+5 minutes). Total : 25 minutes. Et vous ?
Et j’oublie volontairement dans ce calcul mon heure de physiothérapie (kinésithérapie) hebdomadaire, mes temps de déplacements en transports publics — lorsque je ne suis pas oublié sur les quais par les services d’assistance —, un tantinet de temps libre et des heures de sommeil — 6 à 7 heures par nuit, en moyenne). L’AI m’octroyant 242 heures d’assistance (nuits comprises) par mois, il va falloir être prudent sur le nombre de cafés. Pour indice, une semaine entière dispose de 168 heures. C’est moins de la moitié de ce qui m’est donné pour garantir mon autonomie, mensuellement. Le temps, c’est donc bien de l’argent ?
Version Facile à lire et à comprendre (FALC)
Est-ce que je peux vous parler un peu ? C'est pour une chronique. Cela ne prendra pas beaucoup de temps.
Chaque année, pendant les vacances d'été, on se demande toujours pourquoi le temps passe si vite.
Par exemple, on se dit souvent :
- "Je dois finir ce travail avant 16 heures !"
- "Mon avion ne va pas m'attendre !"
- "Peux-tu faire la valise du petit ? Je dois appeler ma cheffe."
Mais, il y a aussi des moments où le temps semble s'arrêter. Comme en mars 2020, à cause du Covid. On parlait tout le temps du Covid, comme on parle de la météo.
Le temps est une dimension importante. Il y a 24 heures dans une journée. Mais quand on a un handicap, le temps passe différemment. Par exemple, prendre une douche peut prendre une heure.
Je travaille environ 27 heures par semaine comme journaliste. Mais, je dois aussi gérer 8 auxiliaires de vie pour m'aider. Cela prend 18h de mon temps en plus par semaine.
Le reste du temps, je fais des choses comme manger, me laver, et dormir. L'assurance invalidité (AI) m'aide à payer les gens qui m’aident.
Cette semaine, je me suis levé à 7 heures pour être prêt à 9 heures. Je travaille à la maison, donc pas de déplacement. Mais il me faut 2 heures pour être prêt, même sans petit-déjeuner.
Pour manger, il me faut 35 à 40 minutes. Pour me préparer à dormir, il me faut 25 minutes.
L'AI me donne 60 heures d'assistance par mois en argent. Une semaine a 168 heures. Donc, il faut bien gérer mon temps.