Sport qui peut !

Malick Reinhard décortique nos paradoxes face au handisport. Entre Jeux Paralympiques et regards biaisés, il explore, avec l'éclairage d'Anne Marcellini, professeure en sciences du sport à l’Université de Lausanne (ISSUL), comment ces exploits sportifs peuvent bousculer nos certitudes.

Sport qui peut !
© Mondame Productions
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⏱️ Pour faire court
  • La Suisse obtient de meilleures performances aux Jeux Paralympiques qu'aux Jeux Olympiques, avec 21 médailles (dont 8 en or) contre 8 (dont 1 en or).
  • Les performances paralympiques des quinze dernières années remettent en question la hiérarchie implicite entre sport olympique et paralympique.
  • La représentation médiatique du handisport évolue, passant de l'« exotisation » à la célébration de la résilience, mais risque de négliger les défis collectifs et les inégalités structurelles.

Dans l’attente d’une interview, je sirotais tranquillement un café crème à la terrasse d’un café lausannois — vous savez, un de ces endroits de bobos métrosexuels, où l’on se sent intelligent juste en étant assis. Soudain, mon regard est attiré par un titre de presse accrocheur, bien imprimé sur une manchette bien trop jaune : « Jeux Paralympiques : La Suisse brille à nouveau ! ». Et là, c’est le déclic. Le genre de déclic qui vous fait oublier que votre café est froid et que vous êtes en train de renverser de l'Arabica sur votre chemise préférée — une chemise achetée en friperie, évidemment.

Le handisport. Vaste sujet, n’est-ce pas ? Un sujet souvent abordé avec la délicatesse d’un éléphant borgne dans un magasin de porcelaine. On marche sur des œufs, on chuchote, on détourne le regard. On craint le faux pas, la gaffe monumentale qui vous collera l’étiquette « personne-pas-du-tout-woke ». Parfois même, on se lance dans des effusions de compassion maladroite : « C’est extraordinaire ce que vous faites, malgré votre… enfin, vous voyez… Ah, euh, non, pardon… ». Non, je ne vois pas, éclairez donc ma lanterne à roulettes !

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🥇 Meilleurs aux Para qu'aux JO ?

Alors, parlons-en, de ce handisport. Parlons-en à travers le prisme fascinant des Jeux Paralympiques. Car oui, chers éléphants borgnes et antiquaires, c’est là que la Suisse, notre chère et belle, se surpasse. Et quand je dis « se surpasse », je pèse mes mots. Nos para-athlètes trustent les récompenses depuis le début des compétitions. À Paris, le tableau des médailles parle de lui-même : 8 médailles pour les 134 athlètes olympiques (1 or, 2 argent, 5 bronze), réparties dans des disciplines variées comme le tir, l’aviron, le cyclisme BMX, les sports équestres, le triathlon et le beach-volley.

Mais du côté paralympique, les 27 para-athlètes en compétitions ont fait (beaucoup) mieux et c’est l’explosion (discrète) de joie : 21 médailles au total (8 or, 8 argent, 5 bronze). Nos athlètes paralympiques excellent particulièrement en para-athlétisme, raflant 7 médailles d’or, 4 d’argent et 2 de bronze, mais brillent également en para-cyclisme, para-badminton et para-natation. C’est para-fique, n’est-ce pas ?

Un petit calcul rapide s’impose : les athlètes paralympiques suisses ont remporté plus de médailles que leurs homologues olympiques, avec notamment huit médailles d’or contre une seule aux Jeux olympiques. Alors, comment expliquer ce phénomène ? Fauteuil maquillé ? Handicap simulé ? Pire ! Des personnes handicapées pourraient-elles être meilleures que des « valides » !?

⏳ Inverser les hiérarchies établies

Pour Anne Marcellini, sociologue du corps et du sport et professeure associée à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (ISSUL), tout est très clair : « Depuis 2007, et l’émergence d’Oscar Pistorius, on s’est rendu compte que dans certaines disciplines, les performances des athlètes paralympiques pourraient possiblement dépasser celles des athlètes olympiques. Et ça, ça a été un choc. Parce que ça remettait en question toute la hiérarchie implicite qui existait entre le sport olympique et le sport paralympique. Et ça a conduit à des débats assez houleux sur la question de savoir si les prothèses, par exemple, ne donnaient pas un avantage indu aux athlètes paralympiques. »

Et c’est là que le bât blesse, n’est-ce pas ? Car avouons-le, nous avons toutes, tous, bien souvent, intégré ce paradigme selon lequel le handicap serait synonyme d’infériorité. Selon un récent sondage de l’institut Odoxa, 89 % de la population française déclare admirer les athlètes paralympiques pour « leur courage et leur volonté » avant toute autre caractéristique. Car le handicap, finalement, n’est qu’un miroir. Un miroir qui reflète nos propres peurs, nos propres préjugés.

Être valide? Ah mais non, moi j’pourrais pas…
Lassé des « Courage » et « J’sais pas comment tu fais », Malick Reinhard est décidé : la prochaine personne qui lui lancera un poncif du genre finira écrasée sous les roues du fauteuil roulant auquel elle a tant voulu échapper.

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Et si, au lieu de détourner le regard, nous choisissions enfin de regarder au-delà de ce miroir ? « L’avenir de la représentation médiatique du handicap dans le sport nécessite une réflexion plus nuancée, estime Anne Marcellini. Il ne s’agit pas simplement de mettre en avant des “héros”, mais de reconnaître le sportif handicapé en tant qu’athlète compétent, membre d’une communauté et, avant tout, en tant qu’individu ».

🏝️ L'« exotisation » du handicap

Car, depuis toujours, le monde médiatique, par sa nature même, est attiré par l’exceptionnel, le distinctif. Mais il est crucial de distinguer la célébration d’une sportive ou d’un sportif en tant qu’individu exceptionnel et l’« exotisation » du handicap. L’un valorise le mérite, l’autre risque de renforcer des stéréotypes. 

En mettant l’accent exclusivement sur la force individuelle, on néglige la complexité des expériences vécues par les personnes en situation de handicap. — Anne Marcellini, professeure associée à l’ISSUL

Aujourd’hui, cependant, la transition des récits médiatiques d’un athlète handicapé perçu comme un « phénomène » vers une célébration de la résilience individuelle représente une avancée. Mais la sociologue du sport prévient : « Cette évolution n’est pas sans ambiguïté. En mettant l’accent presque exclusivement sur la force individuelle, le courage et la volonté des sportives et sportifs, on risque de négliger la complexité et la diversité des expériences vécues par les personnes en situation de handicap, et la place fondamentale des environnements de vie qui, s'ils sont conçus uniquement pour la population normocapacitaire, créent des situations de handicap. On se concentre plutôt sur leur santé particulière ou leur situation familiale, cherchant à les présenter comme “normaux”. Mais cette approche individualiste occulte les défis collectifs et les inégalités structurelles auxquels font face ces personnes. »

C’est précisément ce que tente de faire Anne Marcellini dans son film « Inexclusio » (2023), qui propose une mise en abîme fascinante des rapports sociaux au handicap. En examinant les discours et les images produits par la Télévision Suisse Romande (TSR), puis la Radio Télévision Suisse (RTS), entre 1950 et 2020, le documentaire nous rappelle que le handicap n’est plus une simple question médicale, sportive uniquement ou individuelle, mais un enjeu profondément politique. 

Alors, bravo à nos athlètes paralympiques, bien sûr, mais continuons à nous interroger, à bousculer les idées reçues, pour que la Suisse, « notre » Suisse, brille aussi en dehors des terrains de sport… et permette, à d’aucuns, de moins tacher leurs chemises préférées.


Dès la fin de l’année 2024, « Inexclusio » sera disponible librement sur le Play RTS.


🗞️ L'actu' de la semaine

Une initiative visant à garantir l’égalité de droit et de fait entre les personnes avec et sans handicap dans tous les aspects de la vie quotidienne sera déposée le 5 septembre 2024, à Berne. Soutenue par de nombreuses organisations, dont Amnesty et Inclusion Handicap, cette initiative propose une modification de la Constitution fédérale pour ancrer ces droits fondamentaux. Une rampe sera installée pour la première fois devant le bâtiment de la Chancellerie fédérale, permettant aux personnes à mobilité réduite de déposer elles-mêmes les signatures. Les partisans de l’initiative appellent à « un large soutien citoyen pour faire pression sur le Parlement et le Conseil fédéral, afin que les engagements internationaux de la Suisse en matière d’égalité soient enfin réalisés. »


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