Soigner en monnaie de singe

Derrière la soupe aux pois du Téléthon se cache une question complexe : faut-il sacrifier des animaux pour sauver des vies humaines ? Le journaliste Malick Reinhard, bénéficiaire d'un traitement issu de la recherche, plonge dans la réalité d'une organisation qui marche sur des œufs… de laboratoire.

Soigner en monnaie de singe
© Mondame Productions
Loading the Elevenlabs Text to Speech AudioNative Player...
Journaliste spécialisé dans les questions de société, Malick Reinhard vit avec une maladie qui limite considérablement ses mouvements. Dans « Couper l’herbe sous les roues », il propose chaque semaine analyses, témoignages et enquêtes sur le handicap, une réalité qui concerne 1,8 million de personnes en Suisse et touchera une personne sur deux au cours de sa vie.

Pour beaucoup, le Téléthon, c’est, chaque premier week-end de décembre, une sorte de « Plus grand cabaret du monde » où l’on remplace Patrick Sébastien par Nagui et Sophie Davant — respectivement trublion et pleureuse. Les acrobates, elles et eux, volatilisés, au profit d’une horde de myopathes en fauteuils, placés au premier rang, tout sourire, comme si la vie était une fête. Sous vos applaudissements. Toujours. C’est important.

Eh bien, en Suisse aussi. Même si plus confidentiel, car la Radio Télévision Suisse (RTS) dispose d’un contrat d’exclusivité avec La Chaîne du Bonheur, le Téléthon existe. Il prend plus la joyeuse teinte d’un bal de village où les enfants grimpent aux échelles des pompiers, pendant que grand-papa Pierrot brasse la soupe aux pois et que maman vend des bonshommes de pain d’épices. 

Une souris anthropomorphe en blouse blanche mène une expérience scientifique sur un minuscule humain dans un laboratoire, dans un style d'illustration scientifique détaillée. La scène est éclairée de manière clinique, avec des instruments de laboratoire minutieusement dessinés en arrière-plan. Le rendu est réaliste avec une attention particulière aux détails anatomiques de la souris et de l'humain.
Midjourney : "Anthropomorphic mouse in a white lab coat, she performs scientific research experiments on a tiny human being on a metal table, creative illustration".

🐁 « Nous ne sommes pas pro-expérimentation animale »

Mais le Téléthon, et ça, on le sait déjà un peu moins, c’est surtout la fondation qui finance la recherche contre les maladies génétiques rares, depuis plus de 35 ans. Et je vis avec l’une de ces maladies. Pourtant, même si j’ai fini par accepter un traitement clinique (l’un des plus chers au monde – 370 000 francs par an), fruit de cette recherche, je me suis toujours demandé comment est utilisé l’argent que nous donnons au Téléthon. Spontanément, et puisque j’aime la chose légère, j’ai alors pensé à la problématique épineuse de l’expérimentation animale dans ladite recherche : est-ce que ma santé prime sur la dignité d’un animal ? Le débat est tout trouvé.

🤔
Ça veut dire quoi, une « maladie rare » ?
Une maladie est considérée comme rare (ou maladie orpheline) lorsqu’elle touche moins d’une personne sur 2000 dans une population donnée. Ces pathologies, qui regroupent plus de 7000 maladies différentes identifiées à ce jour, affectent environ 300 millions de personnes dans le monde. Cette définition, établie par l’Union européenne et appliquée internationalement, détermine le cadre de reconnaissance et de prise en charge de ces pathologies dans les systèmes de santé. En savoir plus

Autant chercher une aiguille dans une botte de foin, vous savez. Parce que, en 2024, personne, pas même la Fondation Téléthon Action Suisse, n’oserait se dire « contre » le bien-être des animaux. Alors, après avoir soumis toute la retranscription des propos à son équipe communication, sur la question des valeurs animales, l’équipe de coordination nationale de la fondation me répond : « Nous ne sommes pas pro-expérimentation animale. Le Téléthon suisse soutient une fondation suisse de recherche [la Fondation suisse de Recherche sur les Maladies Musculaires (FSRMM), ndlr.] qui décerne des bourses à des doctorants travaillant dans le domaine des maladies musculaires, dont les myopathies, touchant les enfants et les adultes, dans les universités suisses. » 

En parallèle, la fondation indique sur son site Internet que « seuls » des souris, des vers et des poissons sont utilisés dans les recherches qu’ils financent. Toutefois, selon des sources proches du département de formation et recherche du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), on affirme qu’il est maintenant possible de créer des mini organismes humains, tout à fait fonctionnels, à base de cultures cellulaires. Mais, comme pour toute nouvelle chose, il faut y mettre le budget.

Être valide? Ah mais non, moi j’pourrais pas…
Lassé des « Courage » et « J’sais pas comment tu fais », Malick Reinhard est décidé : la prochaine personne qui lui lancera un poncif du genre finira écrasée sous les roues du fauteuil roulant auquel elle a tant voulu échapper.

À lire également…

📈 L'expérimentation animale repart à la hausse

Du côté de la Ligue suisse contre l’expérimentation animale et pour les droits des animaux (LSCV), on pense que la cause du Téléthon est particulière et louable, mais que le discours arguant que seules quelques espèces animales sont utilisées dans le cadre des recherches est une monnaie de singe : « C’est une hypocrisie crasse du système universitaire. En effet, plus une université édite des publications de recherches, plus elle obtiendra de financement pour ces mêmes recherches. Avec ou sans résultats concrets. Quand vous vous retrouvez face à un mur comme celui-ci, ne serait-ce que pour se garantir un salaire, vous n’êtes pas tenté de chercher des alternatives novatrices. Depuis environ cinq ans, les universités sont les principales responsables de l’expérimentation animale dans le pays. »

Selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), après une baisse significative de 18 % entre 2015 et 2020, le nombre d’animaux engagés dans l’expérimentation est reparti à la hausse. En 2023, 595 305 animaux ont été impliqués dans des expériences en Suisse, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2020, marquant ainsi un revirement de tendance ; ceux utilisés pour des expériences qui causent « des douleurs importantes » sont aussi en augmentation, de 5 %, notamment pour des recherches sur les maladies neurocognitives. En marge de cela, il est utile de rappeler que, toujours selon l’office, « la législation sur la protection des animaux en Suisse est une des plus cadrées du monde. Les expériences sur les animaux ne sont admises que si aucune autre alternative n’est possible ».

🤷 Comment faire autrement ?

Il reste alors à déterminer si, dans le cadre de la recherche financée par le Téléthon, aucune alternative viable à l'expérimentation animale n'est envisageable. « Les chercheurs y recourent par nécessité légale, après avoir apporté la preuve que les méthodes alternatives dont on parle ne permettraient pas de parvenir à ces résultats », explique la fondation. Interpellée sur cette même question, la FSRMM (dont le président d’honneur fut aussi celui du Téléthon) confirme avoir récemment soutenu des projets qui utilisaient des modèles alternatifs, comme la création d’un modèle musculaire tridimensionnel à partir de cellules vivantes. Elle rappelle cependant que la « dernière étape », qui consiste à tester l’efficacité d’un médicament, doit être réalisée à l’aide de modèles animaux, car il n’est pas possible de la tester directement sur les humaines et humains.

Un handicap qui vaut la peine d’être vécu
Détecter un handicap avant la naissance : progrès médical ou eugénisme moderne ? Le journaliste Malick Reinhard explore les dilemmes moraux liés au dépistage des handicaps in utero, remettant en question nos perceptions de la qualité de vie.

À lire également…

Bon, alors, est-ce qu’il faut malgré tout continuer à soutenir cette organisation ? La LSCV est catégorique : « Il ne faut pas oublier que le Téléthon soutient aussi, avec une importante partie de son budget, l’aide sociale aux familles et aux malades. Tout n’est pas mauvais dans cette organisation. Il faudrait juste investir plutôt l’argent destiné à la recherche dans la mise en place d’alternatives. » À Yverdon-les-Bains, dans les bureaux nationaux du Téléthon, on se réjouit d’ailleurs d’être passé de la recherche fondamentale à la recherche clinique, ce qui permet de proposer désormais des thérapies pour certaines maladies. La FSRMM rassure également : « Le sujet de l’expérimentation animale a régulièrement été traité par notre fondation. Ce thème a d’ailleurs été abordé lors de plusieurs de nos séminaires ».

On l’aura compris, l’expérimentation animale est un sujet sensible, complexe et d’actualité. D’autant plus qu’une nouvelle initiative populaire vient de franchir le cap des 100 000 signatures, portée par la Communauté d’intérêts Initiative pour l’interdiction de l’expérimentation animale CH. Le peuple suisse devra donc, pour la cinquième fois depuis 1985, se prononcer sur cette question épineuse. Les quatre précédentes tentatives ont toutes été rejetées, la dernière en 2022 à plus de 80 %. Interrogé sur la question, le Téléthon explique qu’il ne pourra prendre part à ce débat, étant un organisme apolitique. On imagine que l’organisation nationale a sans doute bien d’autres chats à fouetter.


🤔
Où va l’argent du Téléthon ?
En Suisse, la fondation Téléthon répartit les dons versés selon deux axes principaux : 30 % sont dédiés à la recherche, par l’intermédiaire de la Fondation de Recherche sur les Maladies Musculaires (FSRMM), et 70 % au soutien social, assuré par l’Association Suisse Romande Intervenant contre les Maladies neuroMusculaires (ASRIMM) ainsi que par l’Associazione Malattie Genetiche Rare della Svizzera Italiana (MGR). Ces contributions, en nette diminution depuis plusieurs années, s’élèvent à environ 970 000 francs par an.

Le Téléthon suisse se déroule les 6 et 7 décembre 2024, dans tout le pays.


Retour au sommet en style