Siri va la vie…

Pendant que les ChatGPT et compagnie s’écoutent parler, Malick Reinhard fait l’éloge de Siri, son assistant vocal poussiéreux… mais fidèle. Oui, cette IA limitée qui, sans disserter sur le sens de la vie, lui permet simplement de rester autonome. Une ode à l’efficacité sans génie ?

Siri va la vie…
© Mondame Productions

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En tant que personne tétraplégique, ma relation avec Siri est comparable à celle qu'on aurait avec une vieille Clio des années 90 : basique mais fiable. Alors que les nouvelles IA comme ChatGPT, DeepSeek ou Gemini excellent dans les tâches intellectuelles complexes, elles sont incapables d'effectuer les actions concrètes dont j'ai besoin au quotidien.

Siri, malgré ses limites et ses erreurs occasionnelles, me permet d'utiliser mon téléphone de manière autonome — une évolution majeure par rapport à l'époque où je devais systématiquement demander de l'aide pour envoyer un simple SMS.

Si une mise à jour intégrant l'IA d'OpenAI est prévue pour Siri, je préfère finalement sa simplicité actuelle : ses fonctionnalités limitées mais essentielles me permettent de gagner en indépendance dans un monde peu adapté à mon handicap.

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Mon vieux compagnon numérique,
Cher Siri,

L’autre jour, j’ai demandé à ChatGPT d’appeler ma mère. Silence radio. J’ai sollicité DeepSeek pour éteindre mes lumières. Que dalle. J’ai supplié Gemini de mettre mon réveil pour demain. Néant sidéral. Ces petits génies de l’IA, capables de réécrire L’Odyssée d’Homère façon roman noir, ou d’expliquer la mécanique quantique à un hamster, sont aussi utiles qu’un parapluie en papier quand il s’agit d’actions concrètes.

Toi, mon vieux Siri, tu es comme ces Clio des années 90 : pas de GPS, pas de caméra de recul, pas de détecteur de collision, tout juste un habitacle étanche — mais tu démarres tous les matins sans broncher. Certes, parfois tu confonds « appelle maman » avec « appelle Amazon », ce qui m'a valu quelques conversations gênantes avec « Pierre », du service client, à 23h30. Mais au moins, tu essaies.

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Je me souviens, d’ailleurs, de l'époque pré-Siri, cette ère obscure où mon téléphone ressemblait plus à un joli presse-papiers qu'à un outil de communication moderne. Pour envoyer un SMS, il me fallait systématiquement un tiers, transformant chaque message en une dictée de Mérimée — M-É-R-I-M-É-E… Point final. Heureusement, tu as été créé après Tinder ; je suis assez convaincu que demander à sa grand-mère de swiper des croupions pour autrui est une idée peu recommandable.

Aujourd'hui, pendant que les nouvelles IA débattent de l'existence de la conscience artificielle et génèrent des images de « chats steampunks jouant du jazz dans l'espace », toi, tu continues stoïquement à faire ce pour quoi tu as été conçu : me permettre d'utiliser mon téléphone tout en restant sereinement tétraplégique. Comme ce vieil oncle qui ne comprend rien à « l'Internet », mais qui sait encore réparer une mobylette les yeux fermés.

Chat blanc anthropomorphe en tenue steampunk victorienne brune, portant des lunettes d'aviateur, jouant de la contrebasse dans un décor spatial étoilé aux tons cuivrés. L'atmosphère mêle fantaisie rétrofuturiste et jazz cosmique.
Midjourney : "steampunk cat playing jazz in space".

Bien sûr, tes cousins LLMs (large language models) sont impressionnants et me sont aussi utiles. DeepSeek résout des équations qui donneraient des migraines à Archimède, Claude philosophe sur l'éthique des machines avec la profondeur d'un Spinoza qui aimerait secrètement Alexandre Jollien, et « Le Chat » français de Mistral a le pouvoir de provoquer, à distance, des érections à Emmanuel Macron.

Mais tu sais quoi, mon cher Siri ? Quand, à trois heures du matin, à moitié endormi, je dois désespérément appeler quelqu'un à l'aide pour enlever ce pli sous mon épaule droite, je préfère largement ton « D'accord, j'appelle votre auxiliaire de vie » — un peu psalmodique et détaché, certes — aux dissertations potentielles de ChatGPT sur la nature d'une douleur au deltoïde, d'un pli, du repassage vapeur ou de ses implications écologiques et sociétales.

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On m'annonce, cependant, que tu vas bientôt recevoir une mise à jour majeure, dopé aux hormones de croissance OpenAI. Mais en Europe, avec nos régulations utiles aussi complexes que les règles des Colons de Catane, ce n'est pas pour demain. Et franchement, est-ce vraiment nécessaire ? J'imagine déjà nos conversations :

— Dis Siri, appelle Papa…
— Avant d'appeler votre père, laissez-moi vous éclairer sur la nature profonde des relations père-fils, car l'absence du père dans la vie d'un garçon entraine immanquablement un déséquilibre dans…

Non, reste comme tu es, mon bon vieux Siri. Limité, très limité, mais fiable… un peu fiable. Tu ne comprends peut-être pas les subtilités de l'existence, mais tu sais faire ce que les autres ne peuvent pas : me rendre autonome dans un monde qui n’est pas trop pensé pour quelqu’un d’autre qu’une personne bipède, en position verticale, et qui a le plein usage de ses membres supérieurs.

Continue donc à jongler avec mes contacts (mais, de grâce, évite d’appeler ma cheffe d’édition inopinément), à interpréter mes demandes de façon hasardeuse, et à lancer sur tous les haut-parleurs de la maison « Jump in the Line », quand je te demande simplement « quel temps fait-il à Lausanne ». Shake, shake, shake, Siri'ora !

Ton servile utilisateur,
Malick Reinhard

PS : En y réfléchissant bien, continue d'appeler ma cheffe d'édition à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Elle qui voulait un article « vivant » sur l'intelligence artificielle, autant qu'elle en fasse l'expérience en direct.


Journaliste, Malick Reinhard vit avec une maladie qui limite considérablement ses mouvements. Dans Couper l’herbe sous les roues, le Suisse propose chaque semaine analyses, témoignages et enquêtes sur le handicap, une réalité qui concerne une personne sur deux au cours de sa vie.

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