Qui m’a volé mon espérance de vie ?

Atteint d'une maladie dégénérative, Malick Reinhard s'interroge sur son espérance de vie. Entre recherches hasardeuses sur Google et découverte fortuite dans son dossier médical, il explore son rapport à la mort, à la maladie et à la vie.

Qui m’a volé mon espérance de vie ?
© Mondame Productions

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⏱️ Pour faire court
  • L'espérance de vie estimée pour certaines conditions médicales peut être basée sur des données non actualisées.
  • Il existe un écart significatif entre les estimations médicales d'espérance de vie et la réalité vécue par certains patients.
  • La découverte brutale d'une espérance de vie réduite peut néanmoins être un choc émotionnel.

Vous la connaissez, vous, la liste des recherches à ne surtout jamais faire sur Google ? Dans les meilleurs apéros — généralement plus tard que plus tôt —, il se murmure les mots-clés « prolapse », « éléphantiasis », « ichtyose Harlequin », ou encore « Fournier ». N’essayez pas chez vous, car ces recherches n’ont pas été effectuées par un professionnel.

Mais bon, tout le monde l’a déjà fait ; rechercher la cause de ce bobo dans le bas du dos et se retrouver condamné par Doctissimo, pour un cancer du tibia-péroné. Juste une info : j’ai terminé de lire Doctissimo, et, à la fin, tout le monde meurt. Y compris moi, qui, à ce propos, n’ai jamais osé rechercher le terme « espérance de vie amyotrophie musculaire spinale de type 2 », avant la fin de mon adolescence. Cette terminologie à rallonge se traduit dans mon quotidien par une pathologie dégénérative que, si vous lisez Couper l’herbe sous les roues assidûment, vous connaissez déjà un peu mieux.

Une personne en fauteuil roulant est représentée de dos, flottant dans le ciel au milieu des nuages dans un style cartoon. Elle porte un sweat-shirt orange et a les bras écartés, donnant une impression de liberté et de légèreté. Les nuages blancs et le ciel bleu clair créent une atmosphère sereine et onirique.
Midjourney : "Young disabled person in a mixed-race wheelchair with Afro hair flying skywards"

⏰ Encore 10 ans à vivre ?

Aujourd’hui, j’ai 25 ans, un petit quart de siècle dans un petit bout de vie. 25 printemps, c’est les projets, l’indépendance, les investissements, la découverte de soi, des autres, les engagements, les aventures, les succès, les déceptions — celles qui pourraient avoir des conséquences. Bref, cette vingtaine un peu entamée, c’est le début de la Vie. Pourtant, si j’en crois la sachante médecine, il me reste, à ce jour, 10 ans à vivre. Au pire. Et 25 années, au mieux.

Vous comprenez peut-être mieux pourquoi demander mon espérance de vie à un moteur de recherche était la pire des choses que je puisse faire sur Internet. À égalité avec des vidéos de dames blanches avant de dormir, où des caméras cachées d’horreur sud-américaines. Mais cette question, j’ai décidé de la poser à ce bon vieux Google, car je n’ai jamais osé la poser à mon médecin. C’est vrai ça, comment on demande son espérance de vie à son médecin ? « Bonjour Docteur, alors, dites-moi, c’est quand que je meurs ? » Comme ça ?

⚰️ Faire le deuil de sa vie

Mon espérance de vie, celle que prête mon médecin aux patientes et patients « comme moi », je l’ai pourtant découverte, sans Google, un jour, sans même devoir lui poser la question. Il y a quatre ans, alors hospitalisé pour une pneumonie qui a failli me coûter la vie (encore elle !), j’ai pris les devants. Ni une ni deux, en convalescence, j’ai voulu savoir ce que la médecine m’avait infligé, pour me garder vivant, durant ma phase de coma. Courrier recommandé au service juridique de l’hôpital cantonal, et, dix jours plus tard, dans un carton soigneusement écorné par la Poste, je découvre ce que je n’ai jamais osé demander. Dans la marge d’un document qui ne m’était initialement pas destiné.

Page 115, quatrième jour d’inconscience totale, le service des soins intensifs tente de comprendre qui je suis et quelles sont mes comorbidités — c’est marrant, il a déjà quelque chose de funeste ce mot. En ligne 1501, mon médecin, neurologue, dans un lexique proche des meilleurs rapports d’autopsie, semble unanime : « Patient atteint de comorbidités lourdes (cf. dossier intranet patient). Espérance de vie estimée entre 35 et 50 ans à ce genre de personnes [sic.] » Et il ne me l’avait encore jamais confié.

Être valide? Ah mais non, moi j’pourrais pas…
Lassé des « Courage » et « J’sais pas comment tu fais », Malick Reinhard est décidé : la prochaine personne qui lui lancera un poncif du genre finira écrasée sous les roues du fauteuil roulant auquel elle a tant voulu échapper.

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« Ce genre de personnes ». Ce genre de personnes qui aiment la vie et qui, indubitablement, en lisant cela, pleurent ? Ce genre de personnes qui auront compris que la médecine leur donne bien moins du double d’années à vivre que ce qu’ils ont déjà traversé jusqu’ici ? Oui. Exact. Ce genre de personnes qui ont toujours eu une peur incommensurable face à la positivité toxique, au « tout va bien » dans l’angoisse, au « il faut vivre au jour le jour » bateau, à ce syndrome du « tout le monde va mourir, alors arrêtons de nous plaindre » dans le déni. Bref, ce genre de personnes qui ont peur de leur mort à trop aimer leur vie.

🤞🏽 Coucou Jeanne

Et pourtant. « Il faut aimer la vie, et l’aimer même si… », a dit Renaud, dont la sienne, de vie, semble bientôt marcher à l’ombre. Et pourtant. En février 1875, en France, on estimait l’espérance de vie des femmes comme Jeanne Calment à 72 ans. Elle aura vécu 50,5 ans de plus que ce qu’estimait la médecine — et reste, aujourd’hui encore, l’être humain ayant vécu le plus longtemps sur cette planète, quelques fois aussi décadente que navrante.

Grâce à Google, tout de même — bénie soit la Silicon Valley —, j’ai exploré les nuances à apporter à cette courte espérance de vie. Je découvre, en deçà du miroir proposé par le rapport d’un neurologue, des témoignages de « ce genre de personnes », « comme moi », qui ont, elles, 60, 65 ou 70 ans. Toutes et tous condamnent cette « espérance », dont les données n’ont manifestement pas été actualisées depuis près de 25 ans (tiens !) et dont les circonstances aggravantes sont toujours vastes et floues (tiens tiens !).

Sur ces forums de niches, où tout le monde est hypocondriaque, certains respirent de façon complexe, certes, assistés par des trachéotomies et des ventilations non invasives, le diaphragme devenu bien faible. Mais elles et ils sont là, bien vivants. Épanouis, semblerait-il, et furieusement inspirants. Devrais-je vivre les mêmes contraintes ? En aurais-je la force, le courage et l’envie ? La médecine évoluera-t-elle (un peu) ? Autant de questions, restées en suspend, auxquelles même mon médecin ne semble pas avoir de réponse. Enfin bref, qui vivra verra…

Version Facile à lire et à comprendre (FALC)

Ne cherchez pas des mots comme « prolapse » ou « ichtyose Harlequin » sur Google. Vous pourriez voir des choses effrayantes. Ces images ou informations peuvent être choquantes et vous faire peur.

Parfois, on cherche des informations sur nos petits problèmes de santé et on trouve des choses très graves, comme des cancers. Cela peut nous inquiéter beaucoup plus que nécessaire.

J’ai une maladie qui s’appelle l’amyotrophie musculaire spinale de type 2. C’est une maladie qui rend mes muscles plus faibles avec le temps. Cette maladie est rare.

J’ai 25 ans. Je me demande souvent combien de temps il me reste à vivre. Mon médecin pense que je pourrais vivre entre 35 et 50 ans. C’est une information difficile à accepter.

Il ne me l’avait jamais dit directement. J’ai découvert cette information en lisant un document médical après une hospitalisation. J’étais à l’hôpital pour une pneumonie qui a failli me coûter la vie.

Sur Internet, j’ai trouvé des histoires de personnes avec la même maladie qui vivent plus longtemps que prévu. Ces témoignages m’ont donné de l’espoir et m’ont rassuré.

Certaines personnes vivent avec des aides pour respirer et sont toujours heureuses et inspirantes. Elles montrent qu’il est possible de vivre une vie pleine de sens malgré la maladie.

Il est important de profiter de la vie et de ne pas trop s’inquiéter de l’avenir. La médecine évolue et peut-être qu’elle trouvera des solutions pour vivre plus longtemps. En attendant, il faut essayer de vivre chaque jour pleinement.


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