👨🏾‍🦱 Rohan, le silence en scène

Rohan, 28 ans et sourd, bouscule le Paléo. Vibrant aux basses d’Olivia Ruiz « chansignée », ce festivalier prouve que la musique « n’a pas besoin d’oreilles ». Entre concerts signés et idées novatrices, il pousse le festival à repenser l’accessibilité. Un défi lancé à coups de mains qui dansent.

👨🏾‍🦱 Rohan, le silence en scène
Sous une chaleur étouffante, Olivia Ruiz est venue faire fondre le public de la Grande Scène, le vendredi 26 juillet 2024 — © Paléo / Anne Colliard
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Rohan, 28 ans, est le genre de gaillard qui fait mentir les idées reçues les plus solides. Sourd de naissance, ce festivalier déambule dans les allées du Paléo, scrutant les lèvres des unes, des uns et des autres. « Un sourd dans un festival de musique ? Absurde ! », diront certaines personnes. Et on pourrait l’entendre. Pourtant, le voilà qui entame sa deuxième édition, bien décidé à prouver le contraire.

Cette année, Olivia Ruiz se produit sur la Grande Scène. Pour Rohan, peu importe que ce ne soit pas sa tasse de thé. L’essentiel est ailleurs : le concert est intégralement traduit en langue des signes française (LSF), en « chansigne ». En 2016 déjà, Paléo tentait la prouesse durant le concert de Louane. Puis, silence radio pour la LSF, jusqu’à son retour l'an dernier, en 2023, avec le Belge Pierre de Maere. Un succès. Ainsi, et sans traîner des pieds, le festival s’est décidé à remettre définitivement le couvert pour la Femme chocolat. Sur la Grande Scène, à la gauche de la chanteuse, le collectif français 10 doigts en cavale transforme ses paroles en une chorégraphie expressive, un ballet de mains, d’expressions et de corps que Rohan suit avec un naturel évident.

« C’est comme si on nous invitait enfin à la fête », lâche Rohan, son ami Joachim traduisant ses propos. Parfois, il se plaît à reproduire certains gestes, signés par le collectif devant 30 000 âmes amusées. Puis, plus tard, au Quartier des Alpes, le jeune homme se fond dans la foule. Les basses résonnent dans sa cage thoracique, les lumières stroboscopiques rythment la nuit. Il rit aux éclats avec ses amis, communiquant par gestes et lectures labiales dans ce brouhaha festif — un vrai avantage, il faut le reconnaître !

Malgré ces avancées, Rohan garde solidement les pieds sur terre. « Il reste du chemin à parcourir », souligne-t-il, son regard intense fixé sur mes babines. Ses idées fusent : des concerts signés sur les scènes plus confidentielles, des tours de cou « tournesols » distribués [une initiative internationale permettant aux personnes ayant un handicap invisible de signaler leurs difficultés, ndlr.], identifier des bénévoles ressources qui parlent et comprennent la LSF… « Et pourquoi pas des gilets vibrants, à emprunter ? », lance-t-il, son esprit bouillonnant déjà de possibilités. « Ça sert à nous renvoyer les pulsions égales à l’intensité du son que toi tu entends ».

Pour ce festivalier néophyte, l’enjeu dépasse le simple divertissement. « Beaucoup d’entre nous peinent avec le français écrit, car c’est une vraie langue étrangère pour nous », indique-t-il. L’accès à la culture (à la vie !) devient alors un défi quotidien. Pourtant, sur la plaine de l’Asse, Rohan prouve que la musique transcende l’audition. Elle est vibration, émotion, communion. Il signe théâtralement : « On ne l’entend peut-être pas, mais on la vit intensément ! » Dans ce Paléo en pleine mutation, Rohan incarne un nouveau public : celui venu transcender les contours de l’expérience musicale, au-delà du son, vers d’autres horizons sensoriels sous-estimés.


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