Merci soit qui mal y pense
Sans « l'autre », les journées de Malick Reinhard se résumeraient sans doute à ouvrir les yeux au réveil… et attendre. Une dépendance qui n'est finalement qu'une forme visible de notre interdépendance à toutes et tous. Un merci à ces personnes qui transforment des limites en possibles.
Un vieux proverbe africain dit que « pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village ». C’est vrai. Et je ne peux pas l’oublier. Mon « village », c’est toutes ces personnes qui, dans la dépendance, me garantissent un maximum d’autonomie : mes proches aidantes et aidants, mes auxiliaires de vie, mes thérapeutes, mes potes, mes collègues… vous, aussi, peut-être.
L’époque pandémique que nous avons vécue il y a de cela bientôt un lustre, nous a rappelé, je l'espère, que nous sommes toutes et tous interdépendants. Nous avons compris à quel point toutes et tous nous sommes des animaux sociaux. D’ailleurs, restons-nous des êtres vivants, humains, sans le rapport social ? Voilà un bon sujet de philo’ pour vos meilleures semaines de l’Avent.
🏆 L'Oscar du soutien
Ce rapport social, j’en ai besoin plus que quiconque. Sans « l’autre », ma journée se résumerait sans doute à l’ouverture de mes yeux, au réveil. Et puis, c’est tout. Ah oui, je pourrais, peut-être, hurler des inepties depuis mon lit, aussi. Bref, des fois, je m’amuse (attention, c’est très très fun) à dire que, sans aide, je ne suis qu’une tête, un esprit. Vous savez, ces films Sci-Fi où le cerveau d’un type, souvent le génie de l’histoire (nous avons donc quand même des dissemblances), flotte dans un liquide gluant, opaque et vert fluo — en attendant que le protagoniste retrouve son corps pour y réintégrer son esprit. Eh bien, ça pourrait être moi.
Mais heureusement, grâce à l’aide de nombreuses personnes, je suis plus que « ça », plus qu’un esprit enfermé dans un bocal par un scientifique démoniaque — niark niark. C’est pour cette raison que, cette semaine, je veux leur dire merci. Une sorte de Festival de Cannes… la montée des marches en moins. Non, mieux encore : une remise des Oscars inoubliable ! Strass, nœud pap', paillettes et larmichettes.
Tout d’abord, l’Oscar de la Meilleure proche aidante en carence de reconnaissance est attribué à… mon ascendante, pour son interprétation tangible et intense de Maman, dans « Prisonnier d’un corps », de Malick Reinhard ! Le Prix du jury, lui, est remis directement à mon ascendant, et sa performance pusillanime autant qu’égarée de Papa, dans « Le gène qui gêne » réalisé par… encore Malick Reinhard ! Bravo ! Venez donc nous rejoindre, tous les trois, sur le plateau… Ah, bah non, il y trois marches, excusez-nous et restez dans la salle… En même temps, depuis quand les gens qui gagnent sont censés être en fauteuil roulant — je vous le demande !?…
🧞♂️ Les génies de l’allocentrisme
Non, blague à part, entre le prescrit et le réel, il y a souvent un écart. Un grand écart, même. En vérité, c’est un peu plus complexe qu’une manifestation d’apparat, où Will Smith a l’intelligence de cogner pour faire parler. Alors, je veux lui dire merci, aussi, car, j’ai toujours été très interpellé par ces personnes autocentrées qui, paradoxalement, font rayonner celles qui m’apportent soutien et autonomie.
Ah oui, fortement interpellé. Il faut dire que dans « ma » réalité, « mon » quotidien, « ma » sphère intime, la place est davantage à l’allocentrisme qu’à l’égocentrisme. Toutes les personnes qui gravitent dans ce fameux village qui est « le mien » sont des femmes et des hommes qui ont décidé de s’impliquer dans « mon projet », de (très) près ou de (très) loin.
Vous l’aurez peut-être observé : je place passablement de guillemets dans ce 33e récit. Je ne voudrais pas m’approprier ni « ma » dépendance ni l’aide qui m’est donnée. En effet, peu de temps après « ma » naissance, juste après avoir posé le diagnostic de « ma » déficience, « ma » pédiatre a confié à « mes » ascendants ceci : « Ce n’est pas parce que votre fils ne peut rien faire qu’il faut tout lui faire. Sinon, il deviendra capricieux et royaliste ». Mon ascendante ne s’est d’ailleurs jamais privée de me le rappeler durant ses meilleurs sermons – elle avait sans doute raison.
🤴🏽 Le roi de la dépendance
On m’a aussi surnommé quelques fois le « petit roi », « dans son royaume ». On a qualifié mes proches de « sbires du souverain pontife » — bénis soient-ils. Quand le sujet (de la discussion) est pris pour le roi. De la jalousie ? Je ne pense pas. Franchement, qui ambitionne de devenir hypotonique, sans même avoir la possibilité de se gratter le nez ? Personne. Vous, peut-être ?
L'hypotonie désigne un manque de tonus dans les muscles, qui deviennent alors plus relâchés et plus souples que la normale. Cette baisse de la force musculaire peut toucher tout le corps ou seulement certaines parties. Elle se remarque notamment lorsque les muscles opposent moins de résistance aux mouvements, que ce soit dès la naissance ou plus tard dans la vie. Certaines personnes tétraplégiques, par exemple, peuvent être hypotoniques.
Mais, alors, pourquoi prétendre que quelqu’un, dépendant d’autrui pour être plus qu’un cerveau, est forcément un abuseur, un « roitelet capricieux » qui dérobe le temps des gens, sans pitié ? Peut-être parce que, dans l’inconscient collectif, une personne aidée devrait « déjà » se contenter de ce qu’elle a, sans jamais remettre en question ce soutien (?). Vous les voyez un peu mieux, là, les autocentrés qui font rayonner la présence et l’investissement de ces personnes précieuses qui m’aident – et que j’aide aussi, dès que je le peux.
Je porte le plus profond respect à ces humaines et humains qui, chaque jour, dans toute leur singularité, me permettent de faire déambuler ma boîte crânienne au-delà de mon plumard. Cet épisode de « Couper l’herbe sous les roues » leur est dédié. Dédié à vous, également. Qui faites vivre cette chronique, grâce à votre fidélité, vos remarques, vos soutiens. Et puis, les monarques de l’égocentrisme, calmez-vous, je ne vous oublie pas non plus. Bien au contraire. Car, vous me peignez régulièrement le portrait sans-retouche du « moi » que je dédaigne le plus et que je ne voudrais jamais rencontrer. Alors, à vous aussi, et de toute son autonomie, le roitelet vous dit merci. Vous pouvez disposer…
Il est réducteur de présenter les proches aidants comme les « sauveurs » des personnes en situation de handicap. Ces dernières sont avant tout des individus autonomes, capables de mener leur vie en fonction de leurs difficultés intellectuelles et/ou psychiques. Le rôle des proches est de les accompagner, pas de les « sauver » – comme on peut le faire pour une personne sans handicap. En savoir plus