Le handicapé du handicap

Malick Reinhard avoue sa peur du handicap, explorant ses propres contradictions et maladresses. Entre introspection et contradictions, il questionne la notion de « communauté » des personnes handicapées.

Le handicapé du handicap
© Mondame Productions

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⏱️ Pour faire court
  • Les personnes en situation de handicap sont des individus uniques, avec leurs propres caractéristiques, au-delà de leur handicap.
  • Des préjugés et des peurs peuvent exister même parmi les personnes en situation de handicap envers d'autres types de handicaps.
  • La tendance à hiérarchiser les situations de handicap peut sembler problématique et injustifiée.

Voilà déjà deux mois que l’on discute de handicap, vous et moi. Et voilà encore un papier qui risque de me faire passer pour un sale con. Certains appellent cela être « pertinent ». Moi, j’appelle cela « être un sale con ». Et cette simple observation sémantique vous conforte peut-être dans le fait que j’en suis véritablement un. Orelsan disait d’ailleurs « entre avoir des principes et être un sale con, la ligne est très fine. » 

Et si je me replonge dans mon récit introductif du 1er mai dernier — « Là où tout a commencé », comme disent les meilleurs spin-offs de la décennie passée —, j’y rencontre une envie de raconter la rugosité des personnes atteintes de handicap. Parce que, oui, vous donner des leçons, c’est rigolo. Mais, ce n’est pas mon travail. Et il me semble bon de rappeler que, oui, « les handicapés » sont des « sales cons » comme les autres. On demande l’équité, pas que les avantages, ma p’tite dame ! Et personne n’est parfait. Hormis Bradley Cooper, Ryan Gosling, Audrey Hepburn et George Sand, mais tout cela n’a strictement aucun rapport avec le sujet qui nous masse aujourd’hui… 

Je suis partu, j’ai vu, je suis revenu
Tous les mercredis, le journaliste Malick Reinhard tente de questionner notre rapport au handicap, non sans (auto)dérision et esprit critique. Bienvenue sur la ligne de départ.

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L'actrice Audrey Hepburn, une femme élégante aux cheveux bruns courts et frange, portant une robe noire, est assise dans un fauteuil roulant. L'image en noir et blanc évoque une ambiance rétro, avec des meubles et objets flous en arrière-plan, créant une atmosphère classique.
Midjourney : "Audrey Hepburn is in a wheelchair"

😰 J’ai peur du handicap

En fait, je crois bien que je suis un handicapé du handicap. Un gars qui fait partie d’une « communauté », sans véritablement s’y sentir à son aise. Déjà, bien bête serait celle ou celui qui estime juste le fait de parler de communauté. Toutefois, pour autant que, comme le Père Noël, la Petite Souris ou le Grinch, cette communauté existe véritablement, je ne réussis pas à m’y intégrer. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, pourtant. Vous savez quoi ? J’ai peur du handicap.

J’ai fait ma scolarité dans une école spécialisée, là où le handicap est la normalité. Parmi ses élèves, des personnes en situation de handicap physique, de handicap mental, quelques fois les deux. Bref, de la différence dans la différence, ça, il y en avait.

🎭 La Cantatrice chauve

D’abord, dans le grand bain de ce que j’appelais « la seule école qui veut bien de moi », le handicap (encore lui), je ne le voyais pas. Un camarade atteint de paralysie cérébrale tentait de me raconter son week-end — les phonèmes déformés par sa déficience —, pendant qu’une autre, alors en train de baver sur son enseignante, hurlait de façon incohérente, en tentant de se faire vomir pour la huitième fois de la journée.

À l’époque, en observant ce tableau digne de La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, je ne voyais rien d’anormal. Mes camarades, chacune et chacun avec leurs besoins spécifiques, tout simplement. Aujourd’hui, avec pratiquement une dizaine d’années de recul, au grand dam de l’objectif même de cette chronique hebdomadaire, cette pièce de théâtre m’effraie.

La Cantatrice chauve, d'Eugène Ionesco (1950)

En effet, voilà deux lustres que je patauge, différent, dans un cercle social pour le moins normatif. Des journalistes, des bobos (ce sont souvent les mêmes) des saltimbanques de la culture, toutes et tous plus ou moins sympathisantes et sympathisants de cette sphère métrosexuelle. Mais, bien malheureusement, au milieu du toast d’avocat et du thé froid menthe dans un pot de confiture avec une paille en inox, je n’ai, dans mon entourage, quasiment personne en situation de handicap. Du moins, diagnostiqué ou avoué.

🤤 « Tu le connais le monsieur en chaise ? »

C’est quand même drôle de se dire que, à me battre pour l’inclusion, j’en oublierais (presque) d’où je viens. Je suis un grand partisan du « déclassement ». À mes yeux, les personnes handicapées, non — contrairement au cliché qui a la vie dure —, ne sont pas un ensemble homogène d’êtres. Quitte à fâcher du monde, je suis navré, mais je ne me sens pas obligé, ni même légitime d’ailleurs, de saluer le monsieur en fauteuil roulant qui passe, là, dans la rue, juste à côté de moi. « Tu le connais ? », s’excitent souvent mes proches une fois celui-ci derrière. Je devrais ? Sous le seul prétexte que nous partageons un moyen de locomotion commun ?

Et la solidarité, alors ? « Vous traversez le même combat, me direz-vous. La moindre des choses serait de vous saluer, en guise de soutien mutuel ». Une sorte de complaisance mal placée ? Je donne volontiers un sourire sincère à celle ou celui qui me tiendra une porte, me poussera une chaise, bref, me rendra un service. Toutefois, je pense que cette convenance sociale doit s’appliquer à toutes et tous, sans complaisance exacerbée par un point commun inscrit sur le front. Et, pour rappel, je ne vis pas mon handicap comme un « combat ». Juste une condition.

The Shins - The Fear (2017, Columbia Records)

Chers parents terrifiés par le handicap…
« Maman, un handicapé ! » Cette semaine, Malick Reinhard s’adresse aux parents qui fuient les questions de leurs enfants sur le handicap.

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Alors, si vous me lisez encore (bravo et merci), sachez que, peut-être comme vous, j’ai peur du handicap mental, de l’autisme, de la surdité, de la cécité, de celui qui bave ou de celle qui hurle. Je suis « leur valide ». Enfin, pour l’instant ! Car, oui, il existe une sorte de hiérarchisation, bête et méchante, de la situation de handicap — l’herbe étant toujours plus déficiente ailleurs. Pourtant, elle existe cette hiérarchie, et rien ne sert de la refouler. Travaillons juste ensemble pour déconstruire les peurs que nous avons.

Version Facile à lire et à comprendre (FALC)

Depuis deux mois, nous parlons ici de handicap. Je vais encore écrire quelque chose qui pourrait me faire passer pour quelqu'un de désagréable. Certains appellent cela être "pertinent". Moi, j'appelle cela "être un sale con". Orelsan, un rappeur français, dit : "entre avoir des principes et être un sale con, la ligne est très fine."

Le 1er mai 2024, j'ai écrit un article où j’explique que je veux montrer la réalité des personnes handicapées. Parce que oui, donner des leçons, c'est amusant, mais ce n'est pas mon travail. Les personnes handicapées peuvent être désagréables comme tout le monde. Nous demandons l'égalité, pas seulement les avantages.

Je crois que j'ai peur du handicap. Je fais partie d'une "communauté" sans m'y sentir à l'aise. J'ai fait ma scolarité dans une école spécialisée où le handicap était normal. Il y avait des élèves avec des handicaps physiques et mentaux. À l'époque, je ne voyais rien d'anormal. Aujourd'hui, ça me fait vraiment peur.

Depuis dix ans, je suis entouré de journalistes, d'artistes, de gens de la culture. Mais je n'ai presque personne avec un handicap dans mes amis, mes collègues ou ma famille. Je trouve ça bizarre.

Je pense que les personnes handicapées ne sont pas toutes les mêmes. Je ne me sens pas obligé de saluer une personne en fauteuil roulant que je croise dans la rue et que je ne connais pas. La gentillesse ne doit pas être forcée à cause d'un fauteuil roulant. Tout le monde doit essayer d’être gentil avec tout le monde. Même les personnes qui n’ont pas de handicap.

Si vous avez peur du handicap des autres personnes, je vous dis que moi aussi. Mais nous devons réfléchir ensemble pour ne plus avoir peur du handicap des gens.


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