Le handicap en sortie de classe

Le président du PLR, Thierry Burkart, a (re)mis le feu aux poudres en déclarant que « l’école inclusive a échoué ». Un pavé dans la mare qui relance le débat sur l’inclusion des enfants en situation de handicap. Le conseiller aux États a répondu aux questions de Malick Reinhard.

Le handicap en sortie de classe
© Mondame Productions
Loading the Elevenlabs Text to Speech AudioNative Player...
⏱️ Pour faire court
  • Thierry Burkart, président du Parti libéral-radical (PLR), a critiqué l'intégration des enfants en situation de handicap dans les classes ordinaires, qualifiant celle-ci « d'échec ».
  • L'école inclusive est un droit fondamental inscrit dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), ratifiée par la Suisse en 2014.
  • Le manque de moyens alloués à l'école inclusive, notamment le manque de ressources et de personnel formé, est pointé du doigt comme un obstacle à la bonne mise en place de l'inclusion.

C’est les vacances ! Plus de pénitence. Les cahiers au feu… les handicapés au milieu !? « Agitation pendant les cours, enseignement entravé, bons élèves négligés » : les mots sont forts et Thierry Burkart n’y va pas de main morte pour critiquer l’intégration des enfants en situation de handicap au sein des classes ordinaires. Dans une interview accordée aux titres du groupe Tamedia le 20 juin 2024, le président du Parti libéral-radical (PLR) a remis en question la pertinence du modèle suisse de « l’école inclusive ».

« L’école inclusive est un échec », affirme Thierry Burkart, s’appuyant notamment sur un sondage réalisé auprès d’enseignantes et enseignants bâlois. Selon lui, ce système « défavorise les enfants en difficulté, entrave l’enseignement régulier et laisse les élèves plus forts sur le carreau. » Pour le conseiller aux États argovien, la présence de nombreux spécialistes en classe crée une agitation préjudiciable à la concentration et les évaluations incessantes conduisent à une « pathologisation » des enfants. Ambiance dans le préau.

L'image montre une salle de classe remplie de figurines LEGO, toutes tournées vers l'avant. Les figurines sont assises en rangées, regardant vers un tableau ou un écran à l'avant de la salle. Les couleurs vives et les différents styles de cheveux des figurines créent une scène animée et diversifiée. L'arrière-plan est flou, mettant l'accent sur les figurines au premier plan.
Midjourney : "Inclusive classroom, Lego, macro"

🇺🇳 Un droit fondamental qui « ne mène à rien » ?

Autant dire que ces déclarations fracassantes n’ont pas laissé indifférent. Les apôtres de l’école inclusive, parmi lesquels figurent des associations de parents et des organisations de défense des droits des personnes handicapées, rappellent que cette dernière est un droit fondamental, inscrit dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), ratifiée par la Suisse en 2014. L’école inclusive ne serait donc plus un idéal, mais bien une obligation.

En effet, quand nous parlons d’« école inclusive », on semble — le PLR, mais aussi beaucoup d’autres partis de tous bords politiques — mettre tous les enfants en situation de handicap dans « le même panier ». Les solutions à apporter et les efforts à déployer sont-ils identiques pour des enfants avec un handicap physique ou sensoriel que pour des élèves en situation de handicap cognitif ou psychique ? S’il reconnaît le bien-fondé de l’inclusion en théorie, Thierry Burkart estime cependant que sa mise en place pratique est défaillante. « L’intégration est souhaitable, mais l’inclusion à tout prix ne mène à rien », m’a-t-il confié en interview.


Suite à cette sortie médiatique, j'ai souhaité approfondir ces déclarations et comprendre plus précisément la vision de « l'école inclusive » de Thierry Burkart. L'intégralité de l’entretien que le libéral-radical m'a accordé pour Couper l'herbe sous les roues, et dans laquelle il développe ses arguments avec conviction, est à retrouver dès aujourd’hui… 👇🏽

« L’école inclusive nuit à l’égalité des chances pour tous »
L’école inclusive en « échec » ? Thierry Burkart, président du PLR Suisse, plaide pour une approche différenciée et pragmatique de l’intégration des enfants handicapés dans le système éducatif suisse. Interview.

Ce débat met en lumière les défis auxquels le système éducatif suisse est confronté pour répondre à la diversité des élèves et garantir un enseignement de qualité pour toutes et tous. Le manque de moyens alloués à l’école inclusive est également pointé du doigt par le Comité des Nations unies pour les droits des personnes handicapées. Manque de ressources et de personnel formé : pour beaucoup, ces éléments entravent la bonne mise en place de l’inclusion et génèrent des difficultés tant pour les enseignants que pour les élèves.

🍀 Une inclusion des privilèges

Ce sont d’ailleurs des témoignages comme ceux de Nouh Arhab et Bastien J*, que j’ai rencontrés, qui illustrent toute la complexité de la question. Nouh, qui a suivi sa scolarité en milieu spécialisé, regrette le manque de passerelles vers le monde du travail et se demande si l’école inclusive n’aurait pas été une meilleure option. De son côté, Bastien, qui garde un excellent souvenir de son parcours en école ordinaire, insiste sur le rôle crucial de la formation du corps enseignant.


Nouh Arhab, 24 ans
👱🏻‍♂️ — «J’ai toujours pensé que ma situation de handicap ne serait pas un frein à ma scolarité dans un milieu "ordinaire". Le problème, c’est qu’on ne m’a jamais suivi dans mon projet. J’ai 24 ans et j’ai terminé ma scolarité obligatoire, spécialisée, il y a de cela bientôt six ans. Pourtant, moi qui présente une paraplégie en raison d’une malformation de naissance, je cherche toujours ma voie. 

Aujourd’hui, je dois me résoudre à percevoir une rente d’invalidité, en attendant que quelqu’un veuille bien reconnaître mes compétences en graphisme et en photographie, sans diplôme de fin de scolarité [les écoles spécialisées en Suisse ne délivrent pas de diplômes reconnus sur le marché de l’emploi primaire (ordinaire), ndlr.]

Je pense que c’est important de dire que, le plus excluant pour nous, ce n’est pas forcément l’école spécialisée, mais ses débouchés. Pour une personne comme moi qui espère accéder au marché du travail, sans papier pour reconnaître mes années de scolarité, c’est un handicap en plus.

Je crois que l’école, c’est aussi un endroit social, un lieu pour se confronter aux autres et à la “vraie vie”, sans prendre de gants. Peu importe le handicap, ça ne peut être que stimulant pour tout le monde. Et puis, disons la vérité : pour quelqu’un qui veut et peut apprendre, l’école spécialisée, c’est une vraie garderie !»

Bastien J.*, 22 ans
🧑🏻‍🦱 — « Moi, j’ai suivi toute ma scolarité en école ordinaire, même avec mon handicap d’origine génétique et mon fauteuil roulant électrique. Grâce à ce chemin, j’ai fini récemment un apprentissage d’employé de commerce et je travaille maintenant dans ce domaine. 

Mais, j’admets que j’ai pu profiter de certains avantages sur d’autres personnes handicapées : le soutien constant de ma famille, notamment de ma mère qui, travaillant à temps partiel, a pu m’aider entre les cours, à midi ou à 16 heures. Sans ce soutien, les choses auraient sans doute été plus compliquées.

Oui, mes camarades se sont parfois moqués de moi, mais je pense que c’est le cas de tous les ados, avec ou sans handicap. Je ne crois pas avoir été plus visé que les autres. Ces moqueries m’ont parfois blessé, mais j’ai appris à ne pas y prêter trop d’attention et à me concentrer sur mes objectifs.

Pour moi, l’inclusion dans les écoles ordinaires est essentielle, avant tout pour permettre aux élèves et aux professeurs de mieux interagir avec le handicap et d’en avoir moins peur. Je pense qu’il faut former davantage le personnel du milieu “ordinaire” pour qu’il soit mieux préparé à répondre aux besoins spécifiques de chacun. »

🧮 Diviser pour mieux enseigner

Face à ce qu’il considère comme un véritable fiasco, la solution de Thierry Burkart est toutefois très claire : il faut en finir avec l’école inclusive et revenir à un système de classes spécialisées, tant pour les élèves en situation de handicap que pour les enfants allophones. Le député se dit également « préoccupé » par la surcharge de travail imposée aux enseignantes et enseignants et le manque de temps accordé aux élèves « qui ne présentent pas de besoins spécifiques ». « Il faut donc être pragmatique : la bonne école pour chacun, pas la même école pour tous ! », m’explique-t.il. Un « diviser pour mieux régner », version High School Musical, en somme — Thierry Burkart dans le rôle de Zac Efron. Avouez, ça vous fait (presque) rêver…

Pink Floyd - Another Brick In The Wall (1979, Harvest / Columbia)

En fin de compte, ce débat sur l’école inclusive ressemble à une partie de Tetris éducatif où chacun essaie de faire rentrer des pièces de formes différentes dans un cadre pas toujours adapté. Entre Thierry Burkart qui voudrait trier les blocs par couleur et les défenseurs de l’inclusion qui rêvent d’un jeu sans frontières, on se demande si quelqu’un a pensé à agrandir la grille. 

Reste à espérer qu’à force de tâtonnements, on finira par construire une école où chaque brique, qu’elle soit carrée, rectangulaire ou biscornue, trouvera sa place dans l’édifice, sans faire s’écrouler la structure. Après tout, la vraie inclusion, n’est-ce pas de bâtir une maison où chacun se sente chez soi ?

« L’école inclusive nuit à l’égalité des chances pour tous »
L’école inclusive en « échec » ? Thierry Burkart, président du PLR Suisse, plaide pour une approche différenciée et pragmatique de l’intégration des enfants handicapés dans le système éducatif suisse. Interview.

Lire l’entretien de Thierry Burkart, président du PLR, pour Couper l'herbe sous les roues

*Nom d'emprunt


Retour au sommet en style