Le fess'tival du séant
Une personne entravée dans son indépendance motrice dès sa naissance exposera son derrière à environ 1200 individus. Dans une société valorisant l'autonomie, Malick Reinhard s'intéresse à l'intimité des personnes handicapées physiquement. Un témoignage pour déshabiller les préjugés.
- L'intimité des personnes handicapées physiques est constamment exposée. Leur corps est régulièrement vu et manipulé par des soignantes et soignants, des proches ou des auxiliaires de vie.
- En moyenne, une personne dépendante physiquement toute sa vie, dévoilera son intimité à plus de 1200 individus.
- Cette situation affecte profondément le sentiment de pudeur. Elle impacte aussi la dignité de la personne.
Rappelez-moi, c’est quand la dernière fois que vous avez vu le derge de votre boss ? Non, je demande, parce que, d’abord, si c’est le cas et selon les circonstances, je vous encourage vivement à en parler. Blague à part…
Moi, j’ai décidé d’en parler. Pas du séant de mon patron — Dieu merci —, mais bien de mon derrière, et de son rapport aux autres. Ah bah oui, Madame, parce que le cul de Monsieur est bien sociable. Parce que, ici, c’est moi le patron. Et c’est moi qui m’exhibe à longueur d’année devant mes employés. Oui, Madame, mes auxiliaires de vie. Celles et ceux qui m’aident à aller au petit coin, cinq minutes avant que je leur explique que « malheureusement, mais ce n’est pas contre toi, je vais devoir mettre un terme à notre collaboration… » Une façon de diriger qui ferait saliver les meilleurs technocrates. Les privilèges d’une belle dépendance physique, voyez-vous…
🧓 Vous avez déjà pensé à votre dépendance ?
On a déjà parlé quelquefois d’autonomie. De ce que cela veut dire « être autonome », de ce que cela représente de « ne pas pouvoir se mouvoir ». Bref, au-delà de la définition même du handicap, on a parcouru une quantité de réalités sociales et sanitaires. Une quantité astronomique.
Selon la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), et le droit suisse sur l’égalité des personnes handicapées, on entend par « personnes handicapées » celles qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables (généralement plus de six mois), lesquelles les empêchent, en raison de divers obstacles, de participer pleinement et effectivement à la vie sociale au même titre que les autres membres de la société. En savoir plus
Mais quel rapport avec ma lune, allez-vous me dire? Celui de l’intimité, vais-je vous répondre. Quand aucun mouvement n’est possible, tel un château de cartes, sans trop de pitié, l’intimité d’une personne s’écroule. Assez sérieusement. Et puis, comme si ça ne suffisait pas, la plupart du temps, assez durablement.
Vous avez déjà pensé à votre dépendance? Oui, un jour, à moins d’un accident fatal – ce que je ne vous souhaite pas –, vous deviendrez dépendante ou dépendant d’autrui. On est tous le dépendant de quelqu’une ou quelqu’un. Il y a même un mot pour qualifier ce concept : l’interdépendance.
🌕 Montrer son cul à tant d’individus
Quand on est en situation de dépendance physique depuis sa plus tendre enfance, son intimité, ses parties secrètes, on les montrera à bien du monde. Selon les derniers rapports proposés par plusieurs universités européennes : une personne entravée dans son indépendance motrice dès sa naissance exposera son ithyphalle, son séant ou sa nymphe à plus de 1200 individus. C’est plus que tous les partenaires sexuels de Hugh Hefner et Lindsay Lohan — additionnés. Pour l’égalité des s… chances.
Si mon calcul est bon, j’ai donc déjà uriné devant plus de 250 personnes. Différentes. Uniques. Si mon calcul est (toujours) bon, j’ai, ainsi, montré mon cul à l’ensemble du village de Premier, dans le district du Jura vaudois, en Suisse. Un si joli nom, pour un patelin avec autant de voyeurs.
🫣 Résiliant face à sa pudeur
Mais on a beau rire, sortir les chiffres, faire avec ceux-ci des analogies – de nouveau, aucun rapport avec mon coccyx –, j’ai dû apprendre à me construire sans aucune intimité physique. Je pouvais bien y renoncer. Comme l’été de mes 13 ans, où j’ai carrément refusé que l’on m’aide à me laver durant pratiquement deux mois. «Je veux le faire moi-même», répétais-je à tous ceux et toutes celles qui, dans la chaleur de cette canicule transpirante, osaient m’approcher. C’était décidé, plus personne ne verrait mon corps!
Et puis, d’un coup, et finalement, une envie pressante m’a ramené à la réalité. Si je veux pouvoir vivre, avec un maximum d’autonomie, il va falloir être résiliant quant à sa pudeur — physique, je précise. Apprendre à faire la part des choses entre le nécessaire et le facultatif. Laisser ce nouvel auxiliaire de vie en journée d’essai, que je ne reverrais peut-être jamais, apprendre à me laver et, ainsi, me découvrir nu comme un ver : le nécessaire. Permettre à cette jeune stagiaire en soins de seize ans de me nettoyer les fesses, alors que j’ai à peine deux ans de plus qu’elle : le facultatif. Il faut savoir mettre ses limites. Quand à mon intimité corporelle, savez-vous où j’ai dû me résoudre à me la mettre ? Je vous laisse tout loisir de me répondre.
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