« L’école inclusive nuit à l’égalité des chances pour tous »

L'école inclusive en « échec » ? Thierry Burkart, président du PLR Suisse, plaide pour une approche différenciée et pragmatique de l'intégration des enfants handicapés dans le système éducatif suisse. Interview.

« L’école inclusive nuit à l’égalité des chances pour tous »
Pour le président du PLR Suisse, le modèle d’école inclusive actuelle est « un échec ». – © FDP-PLR
Loading the Elevenlabs Text to Speech AudioNative Player...
👈🏽 Revenir à l’article dédié à l’école inclusive
⏱️ Pour faire court
  • Thierry Burkart, Conseiller aux États et président du Parti libéral-radical (PLR), affirme que l'école inclusive actuelle est « un échec ». Son parti formule 17 revendications pour réformer le système éducatif suisse, incluant des mesures pour les élèves en situation de handicap.
  • Selon l'OFS, en Suisse, le degré de formation des personnes handicapées est globalement inférieur à celui de la population sans handicap. 41,6% des personnes handicapées atteignent le niveau tertiaire contre 51,1% pour les personnes sans handicap.
  • L'école inclusive est un droit fondamental inscrit dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), ratifiée par la Suisse en 2014.
  • L'ONU et le rapport PISA 2022 mettent en lumière les défis persistants de l'éducation inclusive en Suisse, soulignant le manque de moyens dans les écoles ordinaires, les difficultés d'accès à la formation professionnelle et l'aggravation des inégalités post-COVID.

🧑🏽‍🦱 Malick Reinhard : Monsieur le Conseiller aux États, merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien. Pour commencer — ça nous permettra de poser le cadre —, parlez-moi de votre relation personnelle au handicap. Avez-vous un handicap diagnostiqué, des parents ou des amis qui vivent cette réalité au quotidien ? Bref, est-ce que vous connaissez ces réalités de près ?
🧑🏻 Thierry Burkart :
Bien entendu, je suis régulièrement en contact avec des personnes en situation de handicap. Toutefois, mes prises de position sur la politique éducative se fondent sur les conclusions d’un groupe d’experts issus de tous les horizons de notre système éducatif, y compris nos directeurs cantonaux de l’instruction publique [Rapport PISA 2022, ndlr.]. Il ne s’agit donc pas de mon cas personnel, mais bien de l’avenir des enfants de notre société.

D’accord… Mais lorsque vous parlez d’« école inclusive », vous — et de nombreux autres politiques de tous bords — semblez mettre tous les enfants handicapés « dans le même panier ». Pensez-vous réellement que les solutions à apporter aux enfants en situation de handicaps physiques ou sensoriels sont les mêmes que pour les élèves qui vivent avec un handicap cognitif, neurodéveloppemental ou psychique ?
Non, je ne suis absolument pas de cet avis. Ce que vous décrivez correspond malheureusement à la situation actuelle. Tout le monde est inclu dans des classes ordinaires, sans distinction. Cela ne permet pas de répondre aux besoins individuels de chaque enfant. La multitude d’enseignants, d’éducateurs et de thérapeutes présents dans les classes génère une agitation qui empêche l’école de répondre aux besoins spécifiques des élèves. Les enfants en situation de handicap physique rencontrent des difficultés différentes de celles des enfants ayant des troubles d’apprentissage ou des handicaps psychiques. Les premiers peuvent souvent participer à 90 % aux activités de la classe et représentent un défi moins important pour les écoles que les seconds. C’est précisément la raison pour laquelle nous formulons 17 revendications et non une seule.

📚 17 champs d'action du PLR pour l'éducation

Au-delà d’une réforme de « l’école inclusive », le Parti Libéral-Radical (PLR) propose 17 mesures pour renforcer le système éducatif suisse. Elles incluent le renforcement des compétences de base (lecture, écriture, calcul) et des cours intensifs de langues pour les élèves allophones. Le parti prône également une « réduction de la bureaucratie », la valorisation des performances des enseignants, une numérisation réfléchie, et une tolérance zéro pour le fondamentalisme en milieu scolaire.

Pourtant, dans une interview que vous avez donnée à l’une de mes consœurs de Tamedia, vous avez affirmé que l’école inclusive est — je vous cite — « un échec ». Ça n’est pas une déclaration anodine… Vous pouvez peut-être étayer cette affirmation avec des exemples concrets ? Quelles solutions proposez-vous pour améliorer l’intégration des enfants handicapés dans le système éducatif ?
Dans l’intérêt de tous, il faut une école adaptée à chacun et non une école uniforme. Je pense à cette enseignante qui m’a confié son malaise face à la situation d’un enfant autiste dont elle avait la charge. Cet enfant passait désormais ses matinées dans une tente, car l’agitation de la classe lui était insupportable. Un autre cas, dans un collège cette fois-ci : plusieurs élèves étaient contraints de passer le plus clair de leur temps scolaire dans le couloir afin de permettre aux autres de suivre les cours dans de bonnes conditions. Nous souhaitons que chaque enfant ait accès, si nécessaire, à une classe spécialisée. La passerelle entre les classes spécialisées et les classes ordinaires doit rester ouverte, et il faut s’assurer régulièrement que la répartition des élèves est toujours adéquate.

Les parents d’enfants sans handicap s’inquiètent parfois du fait que l’attention particulière portée aux élèves avec handicap se fasse au détriment de leurs propres enfants. Vous partagez ce point de vue ?
Cela dépend évidemment des situations, mais je peux comprendre l’inquiétude de ces parents. Le nivellement par le bas, qui se traduit par une inclusion systématique et inconditionnelle, ne permet ni aux élèves qui suivent la matière sans difficulté ni aux élèves particulièrement doués de s’épanouir pleinement. À l’inverse, les enfants en difficulté scolaire sont dépassés. L’individualisation de l’enseignement est loin d’être une réalité partout, faute de moyens et de personnel suffisants, ce qui met les enseignants à rude épreuve. Au final, cette situation nuit à l’égalité des chances pour tous.

Vous pensez donc que les écoles spécialisées offrent un environnement plus adapté aux besoins spécifiques des enfants handicapés ?
Je ne parle pas ici des écoles spécialisées, mais bien de l’école ordinaire. Les écoles spécialisées répondent à des critères d’admission précis ; en Argovie par exemple, le QI doit être inférieur à 70. On constate cependant une pression croissante sur ces établissements, car les écoles ordinaires ont tendance à y envoyer des enfants qui ne remplissent pas forcément les conditions d’admission, afin de se décharger d’une certaine responsabilité. C’est un vrai problème, car chaque enfant mérite de bénéficier des conditions optimales pour apprendre et développer son potentiel individuel.

🧠
Plus qu’un simple QI
Contacté, le Département de la formation, de la culture et du sport (BKS) du canton d’Argovie assure que « l’admission dans les écoles spécialisées ne repose pas uniquement sur un quotient intellectuel (QI) inférieur à 70 ». Bien que cette mesure soit utilisée comme seuil indicatif pour évaluer une déficience cognitive, elle constitue un élément parmi d’autres dans un processus d’évaluation plus complet. Ce processus, basé sur la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF) et le modèle d’évaluation scolaire en vigueur en Suisse alémanique, prend en compte divers aspects du développement de l’enfant. Et d’ajouter : « L’objectif principal de cette évaluation est de déterminer si l’enfant bénéficiera de meilleures conditions de soutien dans une école ordinaire ou spécialisée, assurant ainsi son développement optimal. »

En mars 2022, malgré tous les projets en place, le Comité des Nations unies pour les droits des personnes handicapées a vivement critiqué la Suisse pour le manque de moyens alloués aux écoles ordinaires et les difficultés d’accès à la formation professionnelle pour les élèves handicapés « sur un pied d’égalité avec les autres ». Comment comptez-vous répondre à ces préoccupations exprimées par l’ONU ?
L’intégration des enfants handicapés est évidemment une préoccupation majeure pour le PLR. Notre document affirme clairement que « l’intégration est souhaitable, mais l’inclusion à tout prix est vouée à l’échec ». Ces dernières années, le pragmatisme a été mis de côté. J’ai décrit précédemment comment le PLR propose de remédier aux lacunes de l’intégration en école primaire.

Cette image utilise des emojis pour illustrer les concepts d'exclusion, d'intégration et d'inclusion des personnes en situation de handicap.   1. **Exclusion** : Un cercle contenant uniquement des emojis de visages souriants, tandis que des emojis représentant des personnes en fauteuil roulant, malvoyantes ou malentendantes sont placés à l'extérieur du cercle. 2. **Intégration** : Un grand cercle contenant des emojis de visages souriants et un cercle plus petit à l'intérieur contenant des emojis représentant des personnes en situation de handicap. 3. **Inclusion** : Un seul grand cercle où les emojis de visages souriants et ceux représentant des personnes en situation de handicap sont mélangés ensemble.  Les trois concepts sont clairement étiquetés en dessous de chaque cercle.
© Mondame Productions

Auparavant, les garçons et les filles étaient séparés dans les écoles, sans que cela pose de problème. Ne pensez-vous pas que votre approche risque d’accentuer les inégalités plutôt que de les réduire ? Comment vous assurez-vous que chaque enfant, quel que soit son handicap, ait les mêmes chances de réussir ?
Je vous ai précédemment répondu.

Selon l’Office fédéral de la statistique, les personnes handicapées âgées de 25 à 64 ans ont un niveau d’éducation plus faible que le reste de la population : elles sont moins nombreuses à avoir terminé des études supérieures et un peu plus nombreuses à ne pas avoir suivi d’études au-delà de la scolarité obligatoire. Les différences sont encore plus marquées pour les personnes « très limitées ». Que faire face à ce constat ?
Nous devons garantir à chaque enfant l’accès à un enseignement et à des apprentissages adaptés à ses capacités et à ses besoins. Le système actuel ne permet pas de répondre de manière satisfaisante aux besoins spécifiques des enfants nécessitant un accompagnement spécialisé ni à ceux des élèves des classes ordinaires.

Source : Office fédéral de la statistique (OFS) / Enquête sur les revenus et les conditions de vie (SILC), 2023
© Mondame Productions

Un enseignant m’a dit un jour : « Si je voulais travailler avec des personnes handicapées, j’aurais suivi une formation adaptée. Ce n’est pas le cas ». Pourquoi ne pas renforcer la formation des enseignants « ordinaires », afin qu’ils disposent des compétences de base pour accompagner les élèves en situation de handicap ?
Dans la grande majorité des cas, les équipes éducatives font de leur mieux avec les moyens du bord. Cependant, les enseignants ne peuvent pas tout faire. Des spécialistes formés sont là pour accompagner les enfants en situation de handicap. Introduire une formation « au rabais » sur la prise en charge du handicap dans la formation initiale des enseignants ne permettrait pas de répondre aux besoins spécifiques de ces élèves.

Malgré « l'échec » que vous observez, de nombreuses études ont montré que la présence d’enfants handicapés dans les classes ordinaires contribuait à dédramatiser le handicap et à favoriser une vision plus positive de la différence auprès des enfants non handicapés. Est-ce que vous pensez prendre en compte cet aspect dans votre réflexion — ou est-ce quelque chose de secondaire à vos yeux ?
De mon point de vue, c’est un aspect important de la mission éducative des parents et de l'école.

En marge, cependant, vos propositions incluent des « sanctions plus sévères » contre les « élèves perturbateurs ». Ne craignez-vous pas que cela stigmatise davantage les enfants qui, en raison de leur handicap, ont un comportement perçu comme « perturbateur » ?
Cette revendication concerne les élèves qui perturbent le bon déroulement des cours par manque de respect. Elle ne vise donc pas les enfants handicapés. Certaines situations en classe sont inadmissibles. Ce n’est pas aux enseignants de pallier les manquements de l'éducation parentale.

Certains affirment que l’inclusion scolaire relève d’un idéal idéologique et non d’une solution pragmatique. Que pensez-vous de cette idée ?
Au vu de certaines réactions à nos propositions, cette affirmation semble se vérifier, du moins dans certains milieux.

📚 Ce que dit le rapport PISA 2022

Le rapport PISA (Program for International Student Assessment) 2022 révèle notamment que, malgré des progrès, les élèves en situation de handicap en Suisse continuent de rencontrer des obstacles significatifs. La pandémie de COVID-19 a exacerbé les inégalités d'accès aux outils numériques, soulignant le besoin crucial de technologies adaptées. Les données du rapport mandaté notamment par le Secrétariat d'État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) montrent que la a qualité du soutien pédagogique varie grandement, et de nombreux enseignantes et enseignants manquent de formation spécifique. Les inégalités sociales aggravent ces défis, particulièrement pour les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés. Le rapport appelle à « une action concertée pour surmonter ces obstacles et assurer une inclusion scolaire véritable et équitable. »

Mais alors, comment comptez-vous collaborer avec ces « milieux » — les associations de parents d’élèves, les organisations de défense des droits des personnes handicapées et les personnes concernées elles-mêmes — pour trouver des solutions qui profitent à toutes les parties impliquées ?
Le document du PLR sur la formation aborde la question de l’école obligatoire et propose 17 pistes d’action pour une éducation tournée vers l’avenir et l’égalité des chances. L’école obligatoire étant du ressort des cantons, les élus PLR porteront ces revendications au niveau cantonal. Nous sommes bien évidemment disposés à collaborer avec les organisations concernées à tous les niveaux.

Donc, quelles seraient les trois mesures les plus urgentes à prendre pour améliorer la situation des élèves handicapés dans le système éducatif suisse ?
Premièrement, créer des classes de soutien encadrées par des enseignants spécialisés. Deuxièmement, respecter scrupuleusement les conditions d’admission dans les écoles spécialisées. Et, enfin, former un nombre suffisant de professionnels spécialisés dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap.

Thierry Burkart, merci.

Le handicap en sortie de classe
Le président du PLR, Thierry Burkart, a (re)mis le feu aux poudres en déclarant que « l’école inclusive a échoué ». Un pavé dans la mare qui relance le débat sur l’inclusion des enfants en situation de handicap. Le conseiller aux États a répondu aux questions de Malick Reinhard.

Lire l’article dédié à l'école inclusive (10 juillet 2024)


Retour au sommet en style