Je te déteste, laisse-moi, mais viens m’aider
À travers des souvenirs d'enfance et des réflexions personnelles, Malick Reinhard questionne sa dépendance physique qui, lorsqu’il se fâche avec quelqu’un, l’empêche de fuir.
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- Les personnes en situation de dépendance physique et/ou intellectuelle ne peuvent pas « fuir » ou s'isoler facilement lors de conflits ou de moments difficiles.
- La dépendance aux auxiliaires de vie ou aux proches crée des situations délicates, notamment lors de désaccords, de ruptures ou de licenciements.
- La résilience est présentée comme une capacité essentielle pour surmonter les frustrations liées à cette impossibilité de s'isoler ou de fuir temporairement.
Je me remémore parfois nos jeux d’enfants. Vous savez, dans la cour de récréation. Quand, avec quelques copines et quelques copains, on jouait « à la police et aux voleurs ». Il y avait les gentils. Et puis les méchants. Certains faisaient respecter la loi et l’ordre — comme mon voisin. Alors que d’autres finissaient en prison — comme l’autre voisin de mon voisin.
La plupart du temps, cette invisible geôle, elle se trouvait dans un coin du préau. Entre les premières poubelles PET et un vieux cheval à bascule, lequel portait fièrement « fils de pute », écrit au stylo-feutre noir, sur le haut de ses naseaux. Et moi, je m’obstinais : « Je veux jouer à “Un-deux-trois soleil” ! » Car j’étais naturellement le meilleur à ce jeu. Et sans besoin de faire trop d’efforts…
À cette époque, la vision manichéenne qui nous animait, les copains et moi, elle était plutôt chouette. Et facile à comprendre, aussi. Pourtant, plus de vingt ans sont passés et, aujourd’hui, non, non, plus de vision binaire de la vie. Je ne porte plus en moi cette conviction qu’il y a d’un côté le noir et de l’autre le blanc. Dorénavant, à mes yeux, si elle était une couleur, l’espèce humaine serait une sorte de nuage gris. Avec cinquante nuances de Christian, si vous voulez.
🕺🏽 Prisonnier d'un corps — le mien
Enfin bref, revenons à notre truc enfantin de policiers et de prisonniers. Même si, si on en croit mon développement cognitif, ou les outrages du temps, je ne joue plus beaucoup à ce jeu, j’ai, cependant, parfois, toujours l’impression d’être le prisonnier. Celui-là, entre la poubelle écolo' et le cheval à la mère hétaïre. Celui qui, dépendant de son entourage, ne peut fuir quand quelque chose ne va pas.
Une embrouille, un désaccord, un ras-le-bol ou bien juste un besoin de prendre du recul… Somme toute, fuir, de temps en temps, ça fait du bien. Ne serait-ce que pour empêcher nos paroles de dépasser notre pensée, de déchirer quelque chose, un sentiment, qui — jamais de jamais — ne saurait être raccommodé. C’est parfois pratique. Nécessaire. Humain.
Moi, j’ai beau être un humain, je n’ai jamais pu fuir. Seul. Dans les bois. Dans la rue. Chez un ou une confidente. Ce n’est pas l’envie qui manque, toutefois. Mais, ma réalité c’est que, demain, et probablement jusqu’à la fin de ma vie, même si j’envoie paître mon auxiliaire de vie ou mon proche aidant, je devrais le faire poliment et avec beaucoup de manières. Un quelque chose d’impoli qui tutoie l’obséquieux. « Je suis infiniment désolé, Mélanie, mais c’est passablement difficile pour moi d’accepter cette situation. Mais, je ne t’en veux pas, attention, sache-le ». Pourquoi ? Car, ma réalité, c’est que je suis tributaire du bon vouloir de cette personne, pour manger, pour boire, pour aller aux toilettes, pour vivre. Et peut-être même pour fuir. Bref, je suis dépendant, comme prisonnier de mon propre corps.
🕰️ Vous avez demandé quelqu’un d’autre ? Ne (me) quittez pas…
Si Mélanie, ou moi, sommes fâchés, malgré tout, dans les prochaines minutes, il va falloir collaborer. Impossible de bouder, chacun dans une pièce. Eh bien non, car, Malick a besoin d’aller aux WC et Mélanie va devoir l’y assister. Même si Malick vient de lui annoncer que « malheureusement, et ce n’est en aucun cas lié à tes compétences, j’ai décidé de mettre un terme à notre collaboration professionnelle ». Je vous la pose la question : comment licencier son auxiliaire de vie sans créer le malaise ? Comment licencier son auxiliaire de vie, tout en garantissant ma sécurité ? Comment licencier son auxiliaire de vie, juste avant qu’elle vous torche le séant ? Vous avez quatre heures.
Avec la personne formidable qui partage ma vie depuis plus de quatre ans, c’est à peu près le même tableau. Après un conflit ou une scène de ménage avec elle, c’est tout de même cette dernière qui devra, fâchée, tremblante, brusque et en sueur me déshabiller pour ensuite me coucher. Elle devra toucher mon corps, nu, alors que je voudrais simplement faire le vide. Seul.
Vous avez demandé quelqu’un d’autre ? Ne (me) quittez pas… À 0 h 45, il sera difficile, voire miraculeux de trouver ce quelqu’un ou quelqu’une d’autre qui pourrait, « pouf », placer une respiration dans ce conflit conjugal, certes tout à fait normal. Tout à fait sain, diront certains. Et pourtant, par tous les Saints, j’aimerais pouvoir, au pire, trouver quelqu’un d’autre. Au mieux, fuir. Faire le vide. Pour mieux revenir. Pour ne jamais manquer de respect, parce qu’énervé, à la personne que j’aime. Pour pouvoir « péter un câble », en solo, sans être touché, manipulé, porté ou observé, tout simplement.
🧘🏽♂️ Résilience, ô résilience
L’arme secrète, dans ces cas-là, c’est la résilience — aussi bateau soit-elle. Avec un grand R. Résilience. Cette capacité psychique à surmonter les chocs traumatiques. À accepter la finalité d’une réalité. Sans pour autant dénaturer ou oublier la beauté et l’importance du combat mené en amont, malgré l’échec.
La résilience, finalement, elle est un petit peu un bel after, lorsqu’on est en gueule de bois, à la descente d’un gros shoot de frustration. Malheureusement, beaucoup s’arrêtent avant l’after… « Avant l’after », une belle figure de style, carrément un oxymore, anachronique. De quoi fâcher bien du monde. Alors, je vous laisse fuir. Loin. Ça nous évitera bien des chroniques. À la semaine prochaine !
Version Facile à lire et à comprendre (FALC)
Quand j’étais enfant, je jouais souvent à des jeux comme « à la police et aux voleurs » avec mes amis dans la cour de récréation. Il y avait les gentils qui faisaient respecter la loi et les méchants qui finissaient en prison. La prison était souvent un coin de la cour de récréation, entre les poubelles et un vieux cheval à bascule.
Je préférais jouer à « Un-deux-trois soleil », car j’étais le meilleur à ce jeu. À cette époque, tout semblait simple et clair. Mais aujourd’hui, je vois la vie différemment. Les choses ne sont plus noires ou blanches, mais plutôt nuancées, comme un nuage gris.
Même si je ne joue plus à ces jeux, je me sens parfois comme un prisonnier. Dépendant de mon entourage, je ne peux pas fuir quand quelque chose ne va pas. J’ai besoin d’aide pour manger, boire, aller aux toilettes et vivre. Si je suis en conflit avec mon auxiliaire de vie, je dois tout de même travailler avec elle.
Virer mon auxiliaire de vie sans créer de malaise est très difficile. Comment le faire tout en garantissant ma sécurité ? Comment le faire juste avant qu’elle m’aide aux toilettes ? Ces questions sont très difficiles.
Avec la personne que j’aime, c’est la même chose. Après un conflit, elle doit toujours m’aider à me déshabiller et à me coucher. Même si nous sommes en colère, elle doit toucher mon corps alors que je voudrais être seul.
Dans ces situations, la résilience est essentielle. La résilience, c’est la capacité à surmonter les chocs et à accepter la réalité sans oublier le combat mené. Mais beaucoup de personnes abandonnent avant la résilience. À la semaine prochaine !