Handicap in utero

Détecter un handicap avant la naissance : progrès médical ou eugénisme moderne ? Le journaliste Malick Reinhard explore les dilemmes moraux liés au dépistage des handicaps in utero, remettant en question nos perceptions de la qualité de vie.

Handicap in utero
© Mondame Productions
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Cet article n'a pas pour but de débattre du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Il vise à interroger les enjeux éthiques du diagnostic prénatal et notre rapport collectif au handicap. Son objectif est d'ouvrir une réflexion sur les critères qui définissent une vie « digne d'être vécue », sans pour autant remettre en question les choix individuels chaque individu.
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La semaine dernière, on a parlé de sexe — oui ! Et, parfois, quand on s’adonne aux plaisirs de l’alcôve, à danser le tango horizontal, à faire un stage intensif de biologie appliquée, eh bien, on finit par « faire des bébés ». Des petits êtres, « trop chous » — qui, bien trop souvent, ont « le sourire de leur mère » et « le nez du papa »… quand ce n’est pas l’inverse. Profession : profileur néonatal.

Et l’on s’imagine souvent la création d’un enfant comme un conte de fées, un Miracle de la vie qui nous offre un « bébé Cadum » tout droit sorti d’une publicité rose surannée. Mais la réalité, elle, est bien moins lisse. Car si la vie est « un cadeau », elle s’offre quelquefois à nous avec des options que l’on n’a pas forcément choisies. Et c’est là, dans ce délicat entre-deux où la science rencontre l’éthique, que la question du handicap s’invite dans la conversation, aussi discrètement qu’une bombe à retardement. Boom Baby Boom !

Quatre spermatozoïdes anthropomorphisés et souriants, en fauteuils roulants colorés (riouge, jaune, violet et bleu), dévalant à toute vitesse une pente dans un style manga.
Midjourney : "four antropomorphic spermatozoids in wheelchairs speeding through the uterus, comic, cartoonish drawing"

👨‍🍼 Qui rêve d’un bébé handicapé ?

Et faire sauter la bombe, c’est ce que j’ai tenté de faire en me posant une question : les diagnostics prénataux — ceux-là mêmes qui permettent de diagnostiquer, par exemple, une trisomie —, est-ce que ce n’est pas une sorte d’eugénisme ? En effet, qui rêve sciemment, dans sa vie que l’on projette si parfaite, un enfant en situation de handicap ? Établir un diagnostic avant la naissance, ce qui peut encourager à une interruption volontaire de grossesse (IVG), n’est-ce donc pas une façon de « supprimer » le handicap congénital ?

L’eugénisme, jusqu’à la réalisation de cette enquête, pour moi, c’était un mot ignoble, rattaché aux piètres grandes heures de l’Allemagne nazie. Comme déjà dit, une façon, cette fois-ci assumée, de mettre un terme à moult « races impures ». « Dans un premier temps, il faut différencier deux types d’eugénisme, qui est un terme chargé, nuance le Professeur Christopher Newman, médecin-chef au département Femme-mère-enfant du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Il y a l’eugénisme politique, autoritaire, notamment durant la première moitié du 20e siècle, qui consistait en la stérilisation des personnes handicapées, afin d’éviter qu’elles se reproduisent, puis leur extermination sous l’Allemagne nazie. Et puis, avec le développement du diagnostic prénatal et de la médecine de la reproduction est venu ce que certains appellent l’eugénisme “libéral”, qui émane des choix individuels des futurs parents. Par exemple, avec la possibilité de sélectionner des embryons avant leur implantation pour éviter certaines maladies héréditaires sévères. »

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Ça veut dire quoi, « l'eugénisme » ?
L'eugénisme est une idéologie et une pratique visant à améliorer l'espèce humaine en favorisant la reproduction des individus jugés « supérieurs » et en limitant celle des individus considérés comme « inférieurs » ou porteurs de caractéristiques jugées indésirables (origine, handicap, traits physiques…).
Si j’avais su que tu serais atteint de cette maladie avant ta naissance, sans aucune notion sur le sujet et ses réalités, j’aurais avorté. — Maman

Donc, si je comprends bien, avec ma maladie « sévère », j’aurais pu me faire « eugénismiser », et propre en ordre (?). J’ai donc tout naturellement posé la question épineuse à Madame ma génitrice, j’ai nommé « Maman » : « Je te l’ai toujours dit : si j’avais su que tu serais atteint de cette maladie avant ta naissance, sans aucune notion sur le sujet et ses réalités, j’aurais avorté. Ne serait-ce que pour te “préserver” de vivre cette vie. Mais, quand je vois aujourd’hui la manière dont tu composes avec les limitations que t’impose la société, pour rien au monde je ne voudrais que ça change. En ayant connaissance de tous ces paramètres, jamais je n’aurais mis fin à ma grossesse ! Et heureusement, c’est ce qu’il s’est passé… »

🧫 L’eugénisme : encore un projet de société ?

Ce que « Maman » ne sait pas, c’est que, de toute façon, en Suisse, le diagnostic prénatal sans antécédents, c’est interdit. Enfin, presque. En réalité, la procédure est strictement encadrée et commence par le « test du premier trimestre », réalisé entre la 11e et la 14e semaine de grossesse. Ce test initial évalue simplement la probabilité d’une anomalie chromosomique en combinant trois facteurs : une échographie, une prise de sang et l’âge de la mère. 

Ce n’est que si ce test révèle des résultats suspects ou en présence d’antécédents familiaux de maladies héréditaires que des tests génétiques plus poussés peuvent être envisagés pour détecter d’éventuelles anomalies chromosomiques ou maladies génétiques chez le fœtus. Désormais, puisque je suis, par définition, « l’antécédent » de la famille, mes ascendants et descendants sont autorisés à se faire tester, au-delà de ce fameux premier trimestre. 

Être valide? Ah mais non, moi j’pourrais pas…
Lassé des « Courage » et « J’sais pas comment tu fais », Malick Reinhard est décidé : la prochaine personne qui lui lancera un poncif du genre finira écrasée sous les roues du fauteuil roulant auquel elle a tant voulu échapper.

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« Aujourd’hui, l’avancée technologique permet aux parents des diagnostics prénataux précis et ciblés, comme avec la trisomie 21, précise Christopher Newman. C’est effectivement difficile de savoir jusqu’où l’on va dans la recherche d’une pathologie. Il est vrai de reconnaître que cette pratique a la possibilité de réduire les naissances de personnes en situation de handicap, mais je pense sincèrement que ce n’est pas un projet en soi. Ce n’est en tout cas pas un but de société. Cela étant, dans mon travail, je peux observer la diminution de certains diagnostics. »

Une diminution entraînée notamment par les avortements qui peuvent suivre ces diagnostics qui chamboulent l’existence. En raison d’un certain validisme et de la perception actuelle du handicap dans notre société, personne ne souhaite un enfant « comme ça ». Aussi factuel que cela puisse être, j’ai longuement cherché à m’entretenir avec une mère ou un couple qui, à l’annonce du diagnostic, ont fait le choix de renoncer à poursuivre la grossesse. Autant vous dire que, durant plus de dix mois, je n’ai cessé d’interpeler les associations spécialisées, passer des coups de fil, histoire de faire « jouer le réseau »… Autant vous dire que j’ai échoué. Sur la question, le silence est de mise.

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Ça veut dire quoi, le « validisme » ?
Le validisme, ou capacitisme, se caractérise par un système de valeurs oppressif faisant de la personne « valide », sans handicap, la norme sociale. Ainsi, le handicap est perçu comme une erreur, un manque ou un échec et non comme une conséquence des événements de la vie ou de la diversité au sein de l’humanité. Le validisme est actuellement une croyance dominante dans nos sociétés. En savoir plus

🍎 Adam et l’Éveil de « Good Mourning »

Un soir, alors, sur le point de ranger boutique, le tintement singulier de Messenger finit par résonner dans la pièce. Sur l’écran de mon téléphone s’affichent les mots d’une de mes collègues de la Radio Télévision Suisse (RTS), Marie Riley. D’habitude plus encline à dompter la meute espiègle des « Dicodeurs », chaque midi, sur la Première, la Fribourgeoise décide de se confier avec une spontanéité troublante : « Hello, mon fils est né avec une malformation qui a été décelée avant la naissance, mais je n’ai jamais envisagé une interruption de grossesse, même si celui-ci est aujourd’hui décédé. »

Le 23 juillet 2004, Marie accouche de son premier enfant. Prénommé Adam, « car il n’avait pas de nombril ». À peine au contact de l’air aseptisé de la salle d’accouchement, le petit lui est immédiatement retiré, substitué par une photo Polaroïd prise au préalable. Mais, pas de panique dans la maternité, la jeune maman de 19 ans le sait : son fils est né avec un gastroschisis, une malformation, ses intestins s’étant développés à l’extérieur de son corps. À l’époque, la médecine lui assure que cette anomalie est plutôt fréquente et tout à fait maîtrisable. Nonobstant, dans le service pédiatrique de l’Hôpital de Berne, trois mois plus tard, Adam mourra d’une septicémie.

20 ans plus tard, notamment pour lui rendre hommage, sa mère créera « Good Mourning », une société de production « prémortem », dont lʹactivité consiste à laisser une trace à des proche4s après sa mort. Ces témoignages peuvent prendre diverses formes : écrit, audio ou vidéo. Et lorsque je lui parle de son fils aîné, ma collègue du bout du couloir est catégorique : jamais, ô grand jamais elle n’aurait mis un terme à sa grossesse, y compris si cela devait se reproduire.

😎 Un handicap qui vaut la peine d’être vécu

« Je suis tombée enceinte une nouvelle fois, un an après cet épisode, explique Marie. Mais je n’avais aucune crainte et j’ai refusé tous les diagnostics prénataux. Cet enfant, je voulais le garder de toute façon. Finalement, je comprends toutes les femmes qui font le choix d’avorter après ce genre d’annonce. Par contre, je reconnais que j’aurais préféré avoir mon enfant, malgré ses difficultés, plutôt que de vivre sans lui et qu’il me manque toute ma vie. La seule condition qui aurait pu me pousser à une interruption de grossesse, c’est de savoir que mon enfant souffrirait. »

Cette phrase de Marie, elle me chamboule. C’est précisément cette nuance que j’ai rapportée à ma génitrice, durant notre discussion. J’ai beau réfléchir, regarder dans le rétroviseur, penser aux plus lourdes épreuves, je ne peux en aucun cas estimer que ma vie est une souffrance, encore moins un échec. « Mais pour moi non plus, me lance ma mère. Il me semble que, pour toi, pour nous, et pour bien des familles concernées par le handicap, il s’agit juste d’une réalité, parmi d’autres. Juste une vie que chaque être humain veut tenter de vivre pleinement. »


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