Handica'gay, la case en trop ?

Sur les applis de rencontres homosexuelles, le culte du corps parfait fait loi. Nathan, gay et tétraplégique, livre à Malick Reinhard un témoignage sans filtre sur ces regards qui jugent et ces préjugés tenaces. Face aux diktats, il refuse d’être réduit à son fauteuil et son orientation.

Handica'gay, la case en trop ?
© Mondame Productions
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Journaliste spécialisé dans les questions de société, Malick Reinhard vit avec une maladie qui limite considérablement ses mouvements. Dans « Couper l’herbe sous les roues », il propose chaque semaine analyses, témoignages et enquêtes sur le handicap, une réalité qui concerne 1,8 million de personnes en Suisse et touchera une personne sur deux au cours de sa vie.

Vous vous souvenez de mon premier article pour Couper l’herbe sous les roues ? Je vous parlais de ces personnes en situation de handicap « tout aussi homosexuelles, transgenres, noires, blanches, racistes et connes que les autres ». Aujourd’hui, intéressons-nous alors à ces « invalides » qui, aidés par la singularité, ont découvert leur appartenance à une autre minorité, celle homosexuelle.

Pour ce faire, je suis parti à la rencontre d’une personne qui se reconnaît dans cette définition de l’homosexualité et présente un type de handicap. Nous l’appellerons Nathan*. Pour ce jeune homme de 22 ans, la découverte de son homosexualité a été plutôt soudaine : « J’avais 20 ans quand j’ai commencé à me rendre sur Tinder. J’ai d’abord eu peur d’être rejeté à cause de ma situation de handicap. Mais ça a été. Par contre, même si je m’en doutais depuis toujours, je me suis aperçu que les profils féminins ne m’intéressaient pas. »

Jeune homme en fauteuil roulant, dans le style d’un dessin-animé Pixar, lunettes rondes et t-shirt rayé orange, arborant fièrement un drapeau LGBTIQ+ dans une rue colorée.
Midjourney : "Young quadriplegic man proud to be at a gay-pride, Pixar style".

💎 La perle rare

Atteint d’une tétraplégie, Nathan observe que séduire est difficile. Il estime aussi que, dans la « communauté » homosexuelle masculine, le paraître est très important. « Les abdos, le sexe à outrance, c’est pas trop moi tout ça. Avec un tableau comme le mien, les relations superficielles, ça n’existe pas. » 

Pour l’association vaudoise de défense des droits LGBTIQ+ VoGay : « Malheureusement, avec ou sans handicap, cette problématique du paraître se présente régulièrement. C’est valable pour les personnes en surpoids, de couleur… » Nathan est donc catégorique : « Avec ma difficulté, plus que n’importe qui, j’ai dû trouver la perle rare. »

🤔
Ça veut dire quoi, « LGBTIQ+ » ?
Le terme LGBTIQ+ (pour Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Intersexes, Queer) désigne un ensemble de personnes dont l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre diffèrent des normes sociales dominantes. Cet acronyme, complété par le « + », englobe toutes les autres identités. Cette terminologie, aujourd’hui largement utilisée dans l’espace public, vise à représenter la diversité des expressions de genre et des orientations sexuelles au sein de la société.

Si le Bernois parle au passé, c’est qu’il a récemment trouvé l’amour. « Sur Grindr [application de rencontres homosexuelles, ndlr.], se réjouit-il, avec un large sourire. Une perle rare trouvée sans trop de difficulté, étonnamment. » Le plus difficile pour Nathan, ce fut plutôt de conjuguer les « codes de l’amour », comme il les qualifie, avec son handicap. En revanche, il est déçu de ne pas avoir pu trouver une association spécialisée dans ce double tabou, afin de répondre aux problématiques rencontrées par lui et son partenaire.

Y’a pas que les roues qui chauffent
Lorsqu’elle n’est pas tout simplement ignorée, la sexualité des personnes handicapées est souvent réduite à l’assistance sexuelle. Malick Reinhard donne la parole à des associations, des bénéficiaires et une assistante sexuelle pour dévoiler une réalité plus complexe.

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👥 Au cœur d'Alliage

De son côté, l’association VoGay explique que depuis 2017 le groupe Alliage, en partenariat avec l’institution pour personnes ayant une déficience intellectuelle ou présentant des effets liés à l’âge Eben-Hézer, existe pour répondre aux questions des personnes LGBTIQ+ en situation de handicap. Deux fois par mois, elle anime un groupe de discussion dédié dans des lieux accessibles, à Lausanne. Pas de chichis ni de formalités : les rencontres sont gratuites et ouvertes à toutes les personnes concernées.

Une initiative que Nathan accueille avec un sourire poli, mais distant : « Je ne ressens pas le besoin d’aller dans ce genre de groupe. Je suis qui je suis, point. Ce n’est pas parce que deux personnes sont en fauteuil qu’elles doivent forcément avoir des atomes crochus. » Une façon de revendiquer son individualité plutôt qu’une appartenance communautaire. Pour lui, se définir uniquement par son handicap ou son orientation sexuelle serait réducteur. « Je préfère rencontrer des gens pour ce qu’ils sont, pas pour ce qu’ils représentent. »

Je préfère rencontrer des gens pour ce qu'ils sont, pas pour ce qu'ils représentent. — Nathan*

Nathan estime être désormais épanoui dans sa vie amoureuse. « Même si nous avons droit, comme tout le monde, à des conflits. Des fois, ils concernent directement mon handicap et mes capacités, mais mon copain m’accepte comme ça. » Lorsque je lui demande pourquoi c’est important pour lui de témoigner dans l’anonymat, il me répond : « mon handicap est très visible. Je n’ai pas le choix de le montrer. Mon homosexualité, par contre, n’est pas inscrite sur mon front et je veux garder ce privilège de pouvoir l’annoncer quand j’ai envie ».

💒 Oui… il le veut

Au terme de notre discussion, le soleil embrasse le visage rond et rieur de Nathan. Après que son auxiliaire de vie l’ait aidé à boire son jus de gingembre, le bonhomme informe : « Le mariage, en raison de mon handicap, n’est déjà pas très simple d’accès, car les gens sont remplis de préjugés sur la vie amoureuse des personnes en situation de handicap. Mais ce n’est pas impossible. Ce serait un double pas vers l’égalité pour moi. » 

Nathan n’a pas attendu les groupes de parole ou les espaces « safe » pour vivre sa vie. Être gay et tétraplégique ? Une réalité parmi d’autres, pas une double étiquette à porter en bandoulière. Quand certaines et certains voient des cases à cocher, lui trace sa route. Sans pathos ni militantisme forcené. La vraie inclusion, peut-être, c’est quand on n’a plus besoin d’en parler (?).

*Le prénom a été modifié.


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