Handic' & chill #2
Cinq films et documentaires dans lesquels les rôles de personnages handicapés sont incarnés par des acteurs et actrices directement concernés. Malick Reinhard propose une nouvelle sélection d'œuvres encore marginales dans le cinéma d'hier et d’aujourd’hui.

Vous avez été nombreux et nombreuses à apprécier le premier épisode de ma sélection « Handic’ & chill », il y a quelques semaines. Alors, comme tout auteur capitaliste et égocentrique digne de ce nom — vous aimez BHL ? —, je me suis dit : pourquoi ne pas tirer sur la corde une deuxième fois ? Après tout, Hollywood le fait depuis des décennies ; Fast & Furious 237, Babylone Drift — James Bond 43, L’espion est une femme albinos à deux têtes — Star Wars XXVI, L’Empire contre l’arnarque… Vous voyez le genre).
Bref, rebelote pour une sélection de cinq films et documentaires où, cette fois encore, ce sont des personnes réellement handicapées qui s’affichent à l’écran. Oui, ça paraît débilement évident, mais visiblement pas encore pour l’Académie des Césars. Alors sortez le pop-corn inclusif, éteignez les préjugés fatalistes, c’est parti pour une nouvelle exploration en salles obscures. Une sélection sans misérabilisme ni « inspiration porn »… et, surtout, garantie sans Un p’tit truc en plus !

🎼 CODA, de Sian Heder (2021)
Sorte de Famille Bélier à l’américaine (mais sans le malaise), CODA suit Ruby, ado entendante et seule « traductrice officielle » de sa famille sourde, tiraillée entre la pêche familiale et son rêve de chanter. Le titre fait référence à l’acronyme Child of Deaf Adults « enfant de parents sourds » —, une réalité rarement explorée à l’écran. La vraie « révolution du film », c’est sa distribution : Sian Heder, la réalisatrice, voulait des acteurs sourds pour jouer… des sourds (dingue, non !?). Les producteurs, pas chauds, ont tenté le bon vieux « on mettra des entendants qui font genre, ça prendra moins de temps ». Marlee Matlin (la mère), elle, a menacé de quitter le projet si on ne respectait pas ce choix. Résultat : elle a eu gain de cause, et Troy Kotsur (Frank, le père) a raflé l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle. En bref, un film tendre, juste, sans surenchère ni condescendance, où les silences et les gestes parlent vrai.
Disponible sur AppleTV+.
🩸 Run, d’Aneesh Chaganty (2020)
Run, c’est un thriller où une ado en en situation de handicap commence à suspecter que sa chère maman lui cache (beaucoup) plus que son fauteuil roulant. L’originalité ne tient pas qu’au scénario, mais au fait que l’actrice principale, Kiera Allen, est elle-même utilisatrice d’un fauteuil hors des plateaux. C’est même, selon plusieurs médias, la première actrice en chaise roulante à tenir le rôle principal dans un film commercial à gros budget. Aneesh Chaganty, son réalisateur, a tenu à ce que le rôle soit incarné par une personne concernée, et le résultat est bluffant : pas de pathos, pas de surcouche explicative, juste un vrai personnage de cinéma, fort, complexe, et crédible. Run amène le handicap dans un genre où on l’attend rarement : le thriller horrifique. Même si, pour beaucoup, être handicapé reste indubitablement le pire des films d’horreur…
Disponible en VOD.
⚰️ Presque, d’Alexandre Jollien et Bernard Campan (2021)
Un peu plus proche de nos latitudes, et lorsqu’il n’est pas en interview dans Couper l’herbe sous les roues, Alexandre Jollien se retrouve propulsé dans un corbillard, direction le sud de la France. Presque, c’est une échappée philosophique, en tandem avec l’inconnu Bernard Campan, entre cercueils, philo' et rires francs. L’un est croque-mort, sans handicap diagnostiqué. L’autre est livreur, et vit avec une paralysie cérébrale ; ensemble, ils roulent (au propre, comme au figuré) vers une amitié improbable, loin des caricatures habituelles. Plus proche de L’Atelier que d’Intouchables, le film parle du handicap sans jamais en faire un sujet central — et encore moins un obstacle. Un road‑movie tendre, écrit par ses deux protagonistes, parfois un peu anticipable, certes, mais résolument libre.
Disponible gratuitement sur Play Suisse.
Disponible en VOD.

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🎧 Sais-tu pourquoi je saute ?, de Jerry Rothwell (2020)
Adapté du livre éponyme écrit par Naoki Higashida, autiste non oralisant, Sais-tu pourquoi je saute ? est un documentaire sensoriel, presque organique, qui nous plonge dans les mondes intérieurs de plusieurs jeunes autistes à travers le globe. Pas de voix off docte, pas de spécialistes en col blanc : ici, ce sont les personnes concernées qui nous guident, par les images, les sons et, parfois, les mots qu’on leur prête. Le film tente de traduire ce que ça veut dire d’habiter un monde qui vous submerge, vous échappe ou vous déroute, et le fait avec une délicatesse rare. C’est plus une expérience qu’un récit — à mille lieues du registre compassionnel habituel. Et ça fait un bien fou.
Disponible sur Disney+, ainsi qu’en VOD.
📚 Le Silence de Mélodie, d’Amber Sealey (2024)
Avec Le Silence de Mélodie, Disney fait un pas qu’on n’attendait pas forcément de sa part : confier le premier rôle à une actrice non oralisante vivant avec une paralysie cérébrale. Phoebe-Rae Taylor incarne Mélodie, une ado brillante, drôle et lucide, qui utilise une tablette pour communiquer — et a choisi la voix de Jennifer Aniston pour narrer son histoire. L’intrigue se déroule en 2002, mais ce qu’il montre — l’exclusion à l’école, le validisme, l’invisibilisation des personnes en situation de handicap — pourrait avoir été filmé hier. Voire ce matin. 23 ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Certains diront même que ça s’est peut-être aggravé. Bref, un film à faire frissonner les opposants à « l’école inclusive », tant il met en lumière un système qui refuse encore d’écouter les enfants qu’il prétend « accompagner ». Pas besoin de voix off tire-larmes ni de musique inspirante en fond : c’est Mélodie qui mène l’histoire. Une jeune fille en fauteuil, sans miracle ni leçon de vie à donner ? Oui, ça existe. Il suffisait de l’écouter.
Disponible sur Disney+.

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Avec ces cinq œuvres, une chose est claire : quand ce sont les premières et les premiers concernés qui prennent la parole — ou le rôle principal —, le récit change. Il devient plus nuancé, plus vivant, plus réaliste. Et surtout, il échappe à l’imaginaire qui tourne en boucle depuis des décennies, qui nous sert les sempiternels plans tristes sur des rampes d’escalier ou des regards mouillés dans les couloirs d’hôpital — comme un vieux téléfilm du dimanche sur TF1.
Alors, oui, ces films sont encore trop rares, parfois planqués dans les tréfonds des plateformes, entre un Marvel et un documentaire sur les koalas du Queensland. Mais ils existent. Ils bousculent, et nous rappellent qu’on n’est pas obligé de guérir, de marcher, ou de parler pour mériter un premier rôle. Et si vous en connaissez d’autres, glissez-les en commentaire — promis, je ne vous jugerai pas… et même si c’est Intouchables.
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