Handic' & chill…
Épuisé par les débats des repas de fêtes et l’actualité morose, Malick Reinhard se réfugie sous sa couverture pour une séance de binge-watching en toute déficience. Petit guide des films et séries qui montrent que le handicap peut aussi porter les premiers rôles.

C’est le début de l’année, et, je ne sais pas vous, mais moi, je suis carrément naze. Entre les débats enflammés des repas de fêtes sur l’intelligence artificielle qui va tous nous remplacer (et, pourquoi pas, finalement), la grippe, qui fait son grand retour hivernal, et l’actu' qui nous donne envie de nous terrer… sous terre (rien à voir avec la mort de Jean-Marie Le Pen, ce n’est qu’un point de détail de mon article), permettez-moi de faire mon chroniqueur lifestyle et pop culture. Juste une fois. Celui qui, en cette période, devient un poil pleutre. Il fuit et part se calfeutrer sous une couverture chauffante, direction Netflix. Mais toujours « pour le travail » !
Et puisqu’on en est aux confessions, j’ai une bonne nouvelle : les plateformes de streaming et le cinéma nous offrent enfin des représentations du handicap qui sortent des sentiers battus. Fini les personnages handicapés servant uniquement de ressort dramatique/comique ou de leçon de morale pour les « valides » — coucou Un p’tit truc en plus. Pourtant, il est toujours possible de mieux faire : les personnes handicapées représentaient seulement 0,7 % des personnes vues à la télé, selon le baromètre 2024 de la diversité de l’Arcom (le gendarme audiovisuel français). En Belgique, on fait encore mieux, mais en pire ; seul 0,47% des contenus visibilisent des personnes en situation de handicap, affirme l’association Média Animation. Et en Suisse ? Aucun chiffre n’existe, mais aucun élément ne laisse aujourd’hui penser que la situation est meilleure.
Place à des histoires authentiques, portées par des actrices et acteurs réellement concernés, avec des réalités plurielles. Je vous propose donc un tour d’horizon des films et séries qui donnent une vraie place à ces personnes qu’on avait, jusqu’ici, « pas très envie de voir ». Des autistes, des infirmes moteurs cérébrales et cérébraux, des para', des tétra' et des hémi… plégiques. Une sélection sans misérabilisme ni « inspiration porn »… et, surtout, garantie sans Intouchables !

👨🏻💻 Special, de Ryan O’Connell
Netflix / 2019-2021
Il est en situation de handicap, journaliste, tient une chronique hebdomadaire sur sa paralysie cérébrale dans un pure-player (toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé…) et découvre, dans la marge, son homosexualité. Inspirée d’une histoire vraie et incarnée par la personne même qui a vécu cette histoire, sur Netflix, Special s’intéresse aux expériences menées par Ryan, de son émancipation parentale, à ses premiers émois amoureux, en passant par l’image de la différence dans la « communauté » homosexuelle ou, au contraire, de l’acceptation de son handicap dans l’intimité.
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🏥 Mental, de Slimane-Baptiste Berhoun
France.tv Slash / 2019-2021
Marvin a 17 ans et se retrouve interné aux Primevères, une clinique pédopsychiatrique, où les blouses blanches côtoient les âmes en vrac. Mental, adaptation française d’une série finlandaise qui cartonnait déjà en 2016, nous balance dans le quotidien d’une bande d’ados qui ont autre chose à faire que de se résumer à leur diagnostic. La série esquive les clichés sur la folie avec élégance et préfère nous servir une tranche de vie crue, où l’humour fait office d’antidépresseur. Si les acteurs principaux ne sont pas eux-mêmes concernés par des troubles psy, la série a bossé main dans la main avec des personnes concernées pour éviter les fausses notes. Une démarche qui montre que l’audiovisuel français commence à se réveiller sur les questions de représentation, même si elle garde encore un pied sur le frein côté distribution.
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🍑 Sex Education, de Laurie Nunn
Netflix, 2019-2023
Dans cette série qui a cartonné sur Netflix, on suit les tribulations d’Otis, fils d’une sexologue hautement dévergondée, qui monte un cabinet clandestin de thérapie sexuelle dans son lycée avec Maeve, une rebelle surdouée. Mais ce qui nous intéresse particulièrement, c’est le personnage de George Robinson, lui-même en situation de handicap, qui débarque en saison 2 dans la peau d’Isaac. Ado en fauteuil et grande gueule, il est d’abord présenté comme un potentiel gendre idéal, avant de révéler sa face plus sombre : calculateur, il n’hésite pas à manipuler ses camarades pour arriver à ses fins. Entre des scènes de sexe qui pulvérisent les tabous sur le handicap et un antihéros qui nous force à le détester pour ses actes et non son handicap, Sex Education réussit son pari : montrer que le handicap peut être aussi central que périphérique dans l’identité et la vie d’un individu.
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🪧 Crip Camp : La révolution des éclopés, de Nicole Newnham et James LeBrecht
Netflix / 2020
Direction le Camp Jened, un camp de vacances hippie des seventies dans les Catskills, où des ados handicapés découvrent la liberté et forgent une conscience politique qui va changer l’Amérique. Le film suit notamment Judy Heumann, une ancienne campeuse devenue figure de proue du militantisme handicap, qui mène en 1977 l’occupation la plus longue d’un bâtiment fédéral de l’histoire américaine pour exiger l’application de la « loi 504 » sur l’accessibilité. Les images d’archives sont fortes, le montage serré, et l’histoire est racontée par celles et ceux qui l’ont vécu — c’est un peu les « Summer of Love » version fauteuils roulants, et avec plus de conséquences concrètes que tous les festivals de Woodstock réunis. Et le documentaire de 106 minutes s’est retrouvé produit par un certain couple Obama.
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😘 Yo, también, de Álvaro Pastor et Antonio Naharro
Alicia Produce, Promico Imagen / 2009
Dans Yo, también, le cinéma espagnol propose une approche singulière de la trisomie 21, portée par Pablo Pineda, premier Européen trisomique diplômé universitaire. Loin des représentations convenues, le film déploie une narration subtile autour de Daniel, employé d’un centre social sévillan, dont la relation avec sa collègue Laura questionne nos préjugés. La force du long-métrage réside dans sa capacité à éviter le double écueil du pathos et de l’« inspiration porn », privilégiant une authenticité rare dans le traitement du handicap à l’écran. Une œuvre qui fait le pari de la complexité plutôt que de la facilité. La performance de Pablo Pineda, récompensée à San Sebastian, illustre parfaitement cette volonté de dépasser les clichés pour atteindre une vérité plus nuancée, plus dérangeante peut-être, mais infiniment plus riche.
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Bon, je ne pouvais décemment pas terminer sans vous coller dans la tête Il veut faire un film de Philippe Katerine. Non pas que j'aie la prétention de réaliser le prochain navet inspirant sur le handicap (on a assez donné, merci). Mais cette chanson résume tellement l'industrie du divertissement : « Il veut faire un film avec une femme nue et des handicapés. Pourquoi ? Il ne sait pas. Est-ce qu’il vaut mieux le savoir ou pas ? Est-ce qu’il vaut mieux le faire ou pas ? »
Sauf que là, pour une fois, on arrête de faire semblant. Exit les violons larmoyants et les discours moralisateurs servis avec un shot de pitié. Ces rares séries et films, avec ou sans Katerine, avec ou sans femme nue, ont enfin compris qu'on pouvait être handicapé ET avoir une personnalité. Révolutionnaire, je sais — restez assis.
Allez, je file. J'ai un casting pour le rôle du prochain héros en fauteuil. Paraît qu'ils cherchent quelqu'un qui sait (vous faire) marcher.