Et tu roules sur l'or…
12,5 millions. C'est ce que coûtera le handicap de Malick Reinhard à la collectivité. Et ce n'est là que la partie remboursée par les assurances. Pour le reste, c'est son portefeuille qui trinque. Récit d’une réalité où être handicapé est un véritable investissement.
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En tant que personne en situation de handicap en Suisse, je constate que le coût financier de mon handicap est astronomique. Sur une espérance de vie de 80 ans, j'estime la facture totale à environ 12,5 millions de francs suisses, et ce n’est là que la partie prise en charge par les assurances sociales.
Au-delà des frais couverts par la collectivité, les personnes handicapées doivent assumer de nombreuses dépenses quotidiennes non remboursées. Les transports adaptés coûtent plus cher qu'un taxi ordinaire. Un fauteuil roulant électrique, à renouveler tous les 5-6 ans, coûte 40 000 francs l'unité. L'équipement domotique nécessaire représente environ 6200 francs, sans être couvert.
Cette réalité financière illustre comment le handicap, malgré les aides existantes, génère des surcoûts considérables pour accéder à une vie autonome.
Être en situation de handicap, ça coûte des thunes ! Un max de thunes. En Suisse, beaucoup de personnes pensent que c’est l’Assurance-invalidité (AI) qui prendra en charge ces frais exorbitants — les MDPH en France, et l’INAMI en Belgique. La vérité, c’est que ce n’est souvent pas le cas. Notamment lorsqu’il s’agit de frais extra-professionnels. En Suisse, ceux-ci ne sont pas financés par nos assurances sociales. Il s’agit avant tout d’un cadre législatif pensé pour ne pas le permettre. Plaira ou ne plaira pas, l’AI peut se défendre de respecter la loi telle qu’elle fut votée par le Parlement fédéral — les personnalités politiques que nous avons élues.
Et ce, quand bien même, l’AI, c’est votre argent, le mien, celui de votre voisin, ou de l’élue PLR (la Droite libérale en Suisse) qui est en train de suer en lisant ce papier. Selon une estimation réalisée durant la préparation de cette enquête, dans ma vie – prenons 80 ans comme espérance –, mon handicap nous coûtera, environ, la (très) modique somme de 12,5 millions de francs (13,3 millions d’euros). Un nombre à huit chiffres courtoisement calculé en moyenne basse — disons-le. Le minimum absolu d’une existence honorable.
Vertigineux, n’est-ce pas ? Pourtant, ce n’est « que » ce que l’AI prendra en charge. Même si celle-ci reste tout à fait précieuse et nécessaire à l’autonomie de plus de 15% de la population suisse. Désormais, il reste… le reste. Le reste, c’est toutes ces petites choses qui donnent à la vie le mérite d’être vécue. Un cinéma, des vacances, l’aménagement d’une maison connectée (c’est pratique quand on est tétraplégique, je vous jure !), un accès aux systèmes de communication, aux transports adaptés… Bref, des « privilèges » souvent ordinaires, dans notre pays au fort pouvoir d’achat, mais, rendus encore plus onéreux, parce que « spécialisés » ou « adaptés ».
💵 Des dizaines de kilomètres et des centaines de francs
Prenons les transports, tout d’abord… adaptés aux personnes en situation de handicap, évidemment, cela va de soi. Nécessaires pour le travail (l’AI les financera sous certaines conditions uniquement), ils le sont aussi pour les loisirs, l’extra-professionnel. Ici, comme dans de très nombreuses régions, les transports publics accessibles à toute la société, contrairement à ce que demande la loi suisse depuis le 1er janvier 2024, ce n’est pas encore une réalité — aucune des 89 compagnies de transports publics dans notre petit pays n'est aujourd’hui dans le respect de notre législation en la matière. Et ça ne sera pas le cas au moins jusqu’à l’aube de 2036. Je laisse ça là, vous en faites absolument ce que vous voulez…
Ainsi, pour un maximum de fiabilité, et, faute de pouvoir conduire une voiture, certaines personnes en situation de handicap, notamment physique, vont privilégier les déplacements en taxi — ne serait-ce que pour ne pas poser un lapin involontaire lors de ce premier entretien d’embauche tant espèré. Tiens, un trajet Lausanne-Vevey, dans le canton de Vaud, aller-retour, par exemple. En 2022, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), le prix moyen d’une course en taxi est de 3,90 francs. Multipliés par les 18,4 kilomètres qui séparent les deux villes lacustres, plus une prise en charge au tarif de 6,50 francs, cela vous coûtera un peu plus de 104 francs (environ 110 euros).
Avec un fauteuil roulant, on casquera même davantage. Chez Transport Handicap Vaud (THV), leader et rare prestataire de service de déplacements spécialisés, d’abord, on vous pénalisera d’avoir réservé dans l’heure — 25 francs. La prise en charge, elle, sera quasiment quatre fois supérieure à celle d’un taxi « ordinaire » (5,50 francs en moyenne) — gling, on rajoute 21 francs au compteur ! Aller-retour, à 4 francs le kilomètre, la facture s’élèvera à 121,50 francs (environ 130 euros). Une ruée vers l’or, qui fera sourire (au moins) Charlie Chaplin.
🚕 Couper l’herbe sous les roues vous invite à comparer les coûts entre un transport accessible, un taxi classique (inaccessible selon la nature du handicap) et un trajet Uber (inaccessible selon la nature du handicap). Commencez donc par un trajet simple : de votre domicile à votre lieu de travail/votre centre commercial habituel…
🏎️ La Tesla de l’autonomie
Et puis, pour prendre un taxi qui finira par me faire vendre un rein, il me faut un fauteuil roulant. Puisque le handicap représente un marché particulièrement attractif – voire plus que d’autres, avec un public fidèle et une concurrence quasi inexistante – il semble inévitable de voir surgir des marges astronomiques, de l’obsolescence programmée et des séries limitées de produits... La durée de vie moyenne d’un fauteuil roulant électrique – du moins, celle qu’a définie l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) – est de cinq à six ans.
Dans mon cas, un fauteuil au positionnement précis est nécessaire. Son prix ? 40 000 francs (environ 42 700 euros), tous les lustres. Sur notre référentiel de 80 ans, cela représente treize fauteuils roulants. Treize Tesla — alors que vous avez enchainé toutes ces heures supplémentaires pour en avoir une seule… en leasing à 5%… sur 15 ans. Dans l’antichambre de l’enfer (ou du paradis, on verra), la note s’élèvera à plus de 520 000 francs (environ 550 000 euros).
📜 La Bible du remboursement
Et n’oublions pas de parler de domotique, si vous le voulez bien.Malheureusement, toujours en Suisse, notre bonne vieille assurance invalidité n’est autorisée qu’à financer les articles se trouvant dans la LiMA, la Liste des Moyens et Appareils. Une sorte de bible de la Confédération qui régit ce qu’il est possible de rembourser ou non aux bénéficiaires des assurances de soins en matière de matériel. La condition de vie d’une circulaire étatique de la sorte, c’est d’être un tantinet sclérosée. La LiMA a toujours un train de retard sur les technologies actuelles. Vous comprendrez certainement que, dans celle-ci, les ampoules connectées grand public, les volets automatiques et tout le reste, eh bien, ça n’apparaît pas. Pour l’instant.
La domotique regroupe l'ensemble des technologies permettant d'automatiser et de piloter les équipements d'un logement. Ces systèmes, contrôlables via smartphone ou commande vocale, gèrent notamment l'éclairage, le chauffage, la sécurité ou encore les appareils électroménagers. Dans le contexte du handicap, ces solutions contribuent à l'autonomie en facilitant le contrôle de l'environnement.
Et du côté des outils domotiques proposés par l’État, en raison de leur vétusté, la majorité d’entre eux ne savent pas s’adapter à l’écosystème de nos smartphones. Le prix d’une ampoule de la sorte ? 40 à 50 francs, chez la plupart des revendeurs. Un volet connecté ? 190 francs, en entrée de gamme. Je vous épargne le calcul qui multipliera le coût de l’unité au nombre de fenêtres et d’ampoules dans mon domicile. Retenez juste ce nombre : 6200 francs (environ 6600 euros) l’autonomie contemporaine dans son propre appartement. Soit pour faire des choses banales, que le tout un chacun peut faire, sans même y réfléchir.
🛎️ Et les frais de service ?
Et comme si ce n'était pas suffisant, il y a tout ce qu'on pourrait appeler les « frais collatéraux » de l'assistance humaine. Les auxiliaires de vie, ou les proches (ces personnes qui nous permettent de vivre en autonomie en nous accompagnant dans tous les actes du quotidien) sont des êtres humains – j’ai vérifié pour vous – avec des besoins. Quand je sors au restaurant, je paie non seulement mon repas, mais aussi celui de mon auxiliaire. Au cinéma ? Double ticket, évidemment, et même si la personne accompagnante n'a pas choisi le film. En vacances ? Triple bingo : transport, hébergement et repas pour deux, voire trois, voire plus — il y a parfois plusieurs auxiliaires pour se relayer.
Mais attendez, ce n'est pas fini ! Il y a aussi tous ces petits frais du quotidien qu'on ne soupçonne même pas : les gants pour les soins, les masques, les serviettes jetables... Et puis l'eau, l'électricité, les sacs poubelle – parce que, oui, les auxiliaires aussi doivent satisfaire leurs besoins naturels pendant leur temps de travail. Des détails ? Peut-être. Mais des détails qui, mis bout à bout, font grimper la facture plus vite qu'un ascenseur accessible — quand il y en a un. Plusieurs milliers de francs par année.
Et il y aurait de nombreuses autres dépenses entraînées par ma déficience que je pourrais vous lister ici. Mais, je crois que vous aurez deviné que, décidément, malgré quelques financements précis de l’AI, vivre avec un handicap, ça douille ! Bon, et puis, je préfère m’arrêter là ; pas sûr que ce papier, à lui seul, réussira à financer mon prochain trajet Lausanne-Genève. 287,50 francs (environ 305 euros) ! Je vous laisse régler le retour ? Merci.