De porc en porc
L'affaire Pélicot nous confronte à une réalité : le « violeur type » n'existe pas. Alors, Malick Reinhard ose la question : les personnes handicapées sont-elles des criminelles comme les autres ? Pour le collectif Les Dévalideuses, la morale n'est pas une question d'accessibilité. Au contraire.
- Le statut social ne garantit pas la moralité, comme le montrent des affaires récentes impliquant des personnalités de différents milieux.
- L'affaire Damien Abad, ancien ministre en situation de handicap accusé d'agressions sexuelles, pose question : le handicap peut-il servir d'excuse face à la justice ?
- Pour Céline Extenso, du collectif « handi-féministe » Les Dévalideuses : « Pour beaucoup de mecs handis, c'est intégré que la société ne peut pas leur prêter un rôle d'abuseur. Ils finissent alors par devenir moins respectueux que leurs homologues "valides" ».
Vous savez ce qu’on dit : « L’habit ne fait pas le moine ». Et, apparemment, le fauteuil roulant ne fait pas l’apôtre non plus. Qui l’eût cru ? Certainement pas les 50 coaccusés de Dominique Pélicot, à Mazan, dans le Vaucluse, actuellement en procès pour avoir joué à « Qui veut violer mon épouse inconsciente ? » avec Gisèle Pélicot, droguée par son mari durant plus de 10 ans. Un scénario digne des meilleures séries Netflix, sauf que là, c’est du made in France — et les fictions françaises, vous savez…
Mais attendez, ce n’est pas le plus confondant. Pendant que la justice avignonnaise tente de démêler cet écheveau de culture du viol mal placé à Mazan, d’autres affaires nous invitent à réfléchir sur nos préjugés concernant la moralité supposée de certains groupes sociaux. Prenez l’ex-chirurgien et pédocriminel Joël Le Scouarnec. Voilà un homme qui, selon son serment d’Hippocrate, s’engage à « consacrer [sa] vie au service de l’humanité » et « être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité ». Pourtant, il sera jugé en 2025 pour des viols et agressions sexuelles sur plus de 300 personnes, principalement des mineurs. Ah, ou encore Puff Daddy, icône du rap harlémois, arrêté en septembre 2024 pour trafic sexuel, violences sexuelles, séquestration sexuelle et extorsion. Maintenu en détention, accusé par « plus de 120 personnes », il plaide non coupable, tandis que des rumeurs de vidéos compromettantes circulent.
👼 Séraphique [adj.] : qui rappelle la pureté d’un ange
Toutes ces personnes sont aujourd’hui présumées innocentes, certes, mais ces affaires ont le mérite de nous rappeler brutalement que les monstres ne se cachent pas toujours sous le lit conjugal — mais souvent, dessus. Parfois, ils sont là, au grand jour, portant une alliance, un stéthoscope ou même… un handicap !? Eh bien, oui, comme on parle de ce sujet dans cette infolettre, j’ai été amené à réfléchir sur la représentation des personnes concernées dans ce énième enjeu de société ; et si des personnes en situation de handicap étaient tentées de faire du pied aux « performances » des Puff Daddy et compagnie ? Et quelle serait la réaction de l’opinion publique, du « tribunal médiatique » ?
Souvenez-vous de notre cher Damien Abad (vous ne vous en souvenez pas), ex-ministre français (et éphémère) des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Le voilà qui débarque en mai 2022, tout fier dans son costume trois-pièces, lui, personne handicapée au service des personnes handicapées, prêt à sauver la veuve et l’orphelin. Sauf que voilà, à peine le temps de dire « accessibilité universelle », ou « violence systémique », que le voilà accusé d’agression sexuelle par trois femmes.
« Mais je suis handicapé, voyons ! », dixit le magistrat macronien, avant d’être mis en examen pour tentative de viol. Comme si son arthrogrypose lui conférait un pouvoir d’innocence. Ces affaires soulèvent, alors, une question fascinante : avons-nous inconsciemment placé certaines personnes sur un piédestal moral ? Comme si le fait d’être médecin, ministre ou en situation de handicap vous transformait automatiquement en Mère Teresa d’un nouveau genre — l’Abbé Pierre étant passablement aura non grata.
🐖 Des violeuses comme les autres ?
C’est précisément cette vision idéalisée des personnes en situation de handicap que le collectif français et « handi-féministe » Les Dévalideuses cherche à déconstruire. Depuis 2019, l’association s’emploie à « porter les voix des femmes handicapées dans toute leur diversité ». Intrigué par leur approche, j’ai décidé de contacter l’une de ses huit fondatrices, Céline Extenso. Un petit coup de fil en direction de Nancy, en Lorraine, et la voilà lancée.
Pour beaucoup de mecs handis, c'est intégré que la société ne peut pas leur prêter un rôle d'abuseur. Ils finissent alors par devenir moins respectueux que leurs homologues "valides". — Céline Extenso, co-fondatrice des Dévalideuses
Vous connaissez ma propension à discuter de handicap sans (trop de) ménagements. Alors, Céline, les personnes handicapées sont-elles des violeuses comme les autres ? « Bien sûr, et peut-être même davantage, lance la militante en situation de handicap. En fait, je crois que pour beaucoup de mecs handis, inconsciemment, c’est intégré que, non, la société ne peut pas leur prêter ce rôle d’abuseur. D’ordinaire, on leur colle plutôt une image infantile, donc, à se croire intouchables, certains doivent finir par devenir moins respectueux que leurs homologues “valides” ».
C’est d’ailleurs, selon le collectif féministe, ce qu’a précisément fait Damien Abad : il s’est « caché » derrière sa déficience, affirmant que « les relations sexuelles qu’il a pu avoir ont toujours reposé sur le principe du consentement mutuel » et qu’il est « dans l’impossibilité physique d’avoir commis les actes décrits ». Pour mon interlocutrice, utiliser son handicap pour se soustraire à la justice, c’est « abominable ». Toujours selon elle, cette accusation aurait pu permettre de remettre en question notre vision séraphique de la personne en situation de handicap. Et ça, au regard d’une « anti-validiste », ce serait une bonne nouvelle !
Le validisme, ou capacitisme, se caractérise par un système de valeurs oppressif faisant de la personne « valide », sans handicap, la norme sociale. Ainsi, le handicap est perçu comme une erreur, un manque ou un échec et non comme une conséquence des événements de la vie ou de la diversité au sein de l’humanité. Le validisme est actuellement une croyance dominante dans nos sociétés. En savoir plus
🛝 Jusqu’à la débandade…
« Et si c’était vrai ? », demande alors un reliquat de masculinité toxique qui squatte ma psyché. Et si le handicap de l’ex-ministre l’empêchait réellement d’accomplir ce geste ? Céline Extenso recadre : « Nous vivons malheureusement dans un monde qui encourage la mobilité. Pour beaucoup, ne pas pouvoir se mouvoir est synonyme de dépendance et de fragilité. Or, je ne crois pas que l’autonomie de choix est dictée par les capacités physiques. Damien Abad a toutes ses facultés cognitives et il est accusé de soumission chimique. Je ne vois pas en quoi son handicap l’empêche de droguer sa victime avant d’en abuser sexuellement. Il pourrait même commanditer le geste… » Sa limitation musculaire et physique n’aurait donc rien à faire dans l’équation.
Au sortir de la visioconférence qui nous réunit, la Française du Grand Est se dit quelque peu désabusée. Pour elle, peu de choses sont ressorties de cette affaire, hormis un départ précipité de Monsieur le Ministre. Mais dans un idéal, que peut-on espérer ? « Une reconnaissance de l’imperfection et des travers des personnes en situation de handicap. Comme tout le monde, elles ont leurs qualités et leurs défauts », me rappelle-t-elle. Parfois même, une part sombre. Reste à savoir maintenant si les violeurs sont des handicapés comme les autres…
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