Dans mon fauteuil de femme*

Vivre sa féminité en situation de handicap : légitime questionnement ou idée réductrice ? Malick Reinhard interroge Pamela Ruga sur son expérience de femme, ses défis quotidiens et ses aspirations.

Dans mon fauteuil de femme*
© Mondame Productions

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  • Pamela Ruga a 31 ans et utilise un fauteuil roulant. Elle évoque son identité de femme conjuguée au handicap, abordant les défis quotidiens, l’amour, les perceptions sociétales, la maternité et l'importance de l'estime de soi.
  • Selon l'OFS, les femmes représentent 57,2% de l'ensemble des personnes en situation de handicap en Suisse, soit près de 3 personnes sur 5.
  • Contrairement aux statistiques du handicap, la population sans handicap compte une légère majorité d'hommes (51,4%) par rapport aux femmes (48,6%).

Vendredi dernier, 14 juin, violet sous les fenêtres, on a fait la « Grève des femmes* », dans la rue. Et, en attendant qu’on ait plus besoin de débrayer (dans un futur dystopique où l’équité des droits est acquise), je me suis posé une vraie question de mâle maladroit : on vit comment sa féminité, quand on est en situation de handicap ? Poser cette question, est-ce que c’est légitime ou alors carrément réducteur ? Et puis, comment traiter du sujet, justement, dans mon rôle de gaillard — et ne surtout pas m’exprimer à la place des personnes concernées ? Bref, à balbutier des idées inhabiles, je me suis retrouvé, là, perdu. Comme un « valide » qui parlerait de handicap pour la première fois.

J’ai terminé mon introspection et j’ai décidé de passer un coup de fil à Pamela Ruga. Pamela, elle a 31 ans. Je l’ai rencontrée il y a bien une décennie, dans une manifestation de gymnastique, à Lausanne. Encore un gros cliché de pékin : Pamela, elle m’a toujours inspiré la féminité, bien dans ses baskets et imperméable aux qu’en-dira-t-on. Je lui ai donc demandé ce que ça voulait dire, pour elle, « être une femme » — Michel Sardou étant indisponible.

Une femme souriante en fauteuil roulant, Pamela Ruga, vêtue d'un pull gris, tient un sac en papier brun contenant un chat noir. La scène se déroule dans une cuisine, avec des bols pour animaux au sol en arrière-plan.
« Je me sens toujours plus féminine en été qu’en hiver. Mon apparence est beaucoup plus maîtrisable quand il fait chaud. » — © Droits réservés

👨🏾‍🦼‍➡️ Malick Reinhard : Salut Pamela. Dis-moi, aujourd’hui — je te propose directement d’aller dans le balourd —, est-ce que tu te sens femme ?
👩🏼‍🦼 Pamela Ruga :
Écoute, jusqu’à ce que tu me proposes cette discussion, je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Actuellement, oui, je me sens femme et bien dans ma peau. Adolescente, c’était déjà un peu plus compliqué. Mais certainement comme tout le monde.

« Compliqué », c’est-à-dire ?
S’accepter en tant que femme, en situation de handicap, ça m’a pris du temps. Beaucoup de choses, bien sûr, se sont construites avec la maturité. On vieillit, on apprend. Ado', le plus difficile, sans surprise, c’était le regard des autres. Aller à la piscine en maillot de bain, comme j’ai une scoliose prononcée, c’était une torture pour moi. J’étais complexée par ce corps tout « tordu ». Je me sentais observée. Je suis quelqu’un d’assez pudique, et il m’arrivait de renoncer à certaines activités, pour éviter cette pression. Après, je suis née avec un handicap, alors, il m’est difficile de me comparer avec une femme qui n’en a pas…

Évidemment. Mais, du coup, maintenant, ta féminité, elle s’exprime comment ?
Je me sens toujours plus féminine en été qu’en hiver. Mon apparence est beaucoup plus maîtrisable quand il fait chaud. Durant la saison froide, puisque je bouge très peu dans mon fauteuil roulant, je dois mettre des grosses vestes, des couvertures… Parce que, moi, je préfère avoir chaud que d’avoir du style. Par contre, ça entrave ma féminité, c’est sûr. Car, celle-ci, pour moi, passe aussi par l’habillement.

Et, au-delà des saisons, d’ordinaire, est-ce que tu arrives à mettre tous les vêtements que tu souhaites ?
Bon, déjà, il faut accepter son corps. Mais c’est clair que je sais davantage me mettre en valeur qu’il y a quelques années. Après, on ne va pas se mentir, avec des talons aiguilles de quinze centimètres, je ne vais pas être très bien. Je me souviens, par contre, avoir trouvé une parade, pour le mariage de ma cousine. Je suis allée avec mes talons chez le cordonnier, en lui demandant de les scier un peu. Il m’a dit que c’était une mauvaise idée, car on ne pourrait plus marcher avec. Je lui ai répondu qu’on s’en foutait, parce que, de toute façon, je ne marcherai pas avec.

À part ta tenue et ton style, qu’est-ce qui caractérise cette féminité que tu revendiques ?
C’est compliqué. Je ne me maquille pas, à part de temps en temps. Ce n’est pas quelque chose qui me permet de faire ressortir ma féminité. Moi, j’aime bien être naturelle, en fait. Être féminine, ça ne passe pas seulement par la beauté physique, le maquillage. C’est un mélange de beaucoup de choses. Mais, actuellement, je me sens femme par rapport aux autres femmes. Et ça, ça me va bien!

C’est déjà pas mal, entre nous ! Et selon toi, la société te voit avant tout comme une personne handicapée, une femme, ou Pamela, dans son ensemble — c’est-à-dire un peu tout cela en même temps ?
Bonne question… Ça dépend avec qui, je dirais ! Je pense que ceux qui ne me connaissent pas me voient d’abord comme une personne handicapée. Les personnes qui me connaissent, elles, me considèrent sans doute plus comme Pamela, une femme de 31 ans, qui habite dans la région d’Yverdon et adore son chien d’assistance, Bali. (rires) Mais, honnêtement, que l’on me considère d’abord comme une personne handicapée, je crois bien que ça m’est égal… Enfin, non, je pense que ça dépend des jours. Il y en a où je n’en ai rien a carrer et d’autres où ça me révolte beaucoup. Par contre, je pense que ça peut se présenter pour tout le monde, femmes ou hommes.

En parlant d’hommes — car tu es une femme cisgenre et hétérosexuelle —, comment ça se passe pour toi l’amour, la drague, toutes ces joyeusetés sociales ?
Je pense que c’est plus difficile de séduire quand on est en situation de handicap. En soirées, j’ai l’habitude de me faire draguer frontalement. Mais uniquement par des gars bourrés. Jamais par d’autres. (rires) Blague à part, sur les applications de rencontres, c’est pareil. C’est difficile.

Il y a quelques mois, j’ai rencontré un gars. On s’est vu et, au moment où c’est devenu « un peu plus sérieux », il m’a dit : « T’es cool, je t’aime bien, mais je ne voudrais surtout pas devenir ton soignant. » — Pamela Ruga

Il y a quelques mois, j’ai rencontré un gars. Ça avait l’air de bien passer, il y avait le feeling. On s’est vu et, au moment où c’est devenu « un peu plus sérieux », il m’a dit : « T’es cool, je t’aime bien, mais je ne voudrais surtout pas devenir ton soignant. » Je lui ai expliqué que ce ne serait pas le cas, car j’ai des assistantes de vie supers qui sont là pour m’aider. Quelques jours plus tard, il m’a écrit pour me dire qu’il s’était mis en couple avec une autre fille. Est-ce que ça n’aurait pas été le cas sans mon handicap ? Peut-être… En tout cas, je pense qu’être en situation de handicap, en étant une femme hétérosexuelle, sur ce point, c’est plus difficile que d’être un homme hétérosexuel. Les hommes ont peut-être moins ce côté « maternel » que peut avoir une femme.

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La maternité, justement, tu y penses ?
Bien sûr ! Et, par instant, ça me travaille pas mal. Est-ce que j’ai envie d’un enfant, avec mon handicap ? Ce sont des questions probablement un peu plus compliquées que pour une femme sans handicap. Ça me questionne. Vraiment. Ma cousine, qui est plus jeune que moi, est devenue maman en 2020. Cet épisode, ça a été très dur pour moi. Finalement, c’est là que je me suis rendu compte que, peut-être, je n’aurais jamais d’enfant. Notamment parce que la société n’est pas prête à ça. Elle n’est pas habituée et ne va pas forcément l’encourager. Mais ça ne m’empêche pas d’espérer accéder à la maternité, un jour. Par contre, mère célibataire, avec ma situation, ça me semble un peu compromis. Déjà un chien, je ne t’explique pas… Alors, reste à me trouver un compagnon ! (rires)

Pamela, merci.

Version Facile à lire et à comprendre (FALC)

Je me demande comment une femme vit sa féminité avec un handicap. Je parle avec Pamela Ruga, une femme de 31 ans que je connais depuis longtemps.

Pamela dit qu'elle se sent plus féminine en été qu’en hiver. En été, elle peut mieux choisir ses vêtements. En hiver, elle doit porter des grosses vestes pour ne pas avoir froid, ce qui rend plus difficile de se sentir féminine.

Pendant son adolescence, Pamela a eu du mal à accepter son corps à cause de son corps qu’elle trouve « tordu ». Elle se sentait observée et complexée par son corps. Elle a mis du temps à s'accepter.

Pour Pamela, être féminine passe par les vêtements. Elle choisit des vêtements qui lui vont bien et qui sont confortables. Par exemple, pour un mariage, elle a demandé à un cordonnier de couper les talons de ses chaussures pour pouvoir les porter sans marcher avec.

Pamela explique que la féminité n'est pas seulement une question de maquillage ou de beauté physique. C'est un mélange de plusieurs choses. Aujourd'hui, elle se sent bien en tant que femme.

Pamela pense aussi à la maternité. Elle se demande comment elle pourrait être mère en étant en situation de handicap. Elle sait que cela demanderait beaucoup d'organisation et de soutien. Elle pense que c'est possible, mais que cela serait un grand défi.

Pamela pense que les gens qui ne la connaissent pas la voient d'abord comme une personne handicapée. Ses proches la voient comme une femme avec ses propres caractéristiques. Parfois, cela ne la dérange pas, mais d'autres fois, cela la révolte.


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