C’est l’histoire d’un légume…

« Pas de bras, pas de chocolat ». De « Intouchables », aux crevettes roses de Patrick Timsit, face au handicap, l'humour boite, trébuche, mais tend à se relever. Malick Reinhard et l’humoriste Thomas Wiesel se demandent si l’on peut rire du handicap et, si oui, comment. Lol.

C’est l’histoire d’un légume…
© Mondame Productions

🎧 Écouter ce texte

⏱️ Pour faire court
  • Le film « Intouchables », sorti en 2011, a popularisé l'humour lié au handicap, mais a aussi engendré des blagues répétitives et parfois inappropriées dans la vie quotidienne.
  • L'approche de l'humour sur le handicap a évolué au fil du temps, passant de sketchs jugés « gratuits et choquants » (comme ceux de Patrick Timsit dans les années 90 sur la trisomie) à une approche plus « responsable et spécialisée » aujourd'hui.
  • Il y a actuellement un manque d'humoristes en situation de handicap en Suisse romande, mais on observe une émergence de talents dans ce domaine en France, comme Doully, Florence Mendez, Lilia Benchabane et Quentin Ratieuville.

En mémoire de Guillaume Bats.

Nous sommes le 2 novembre 2011. Dans les salles obscures, la francophonie découvre l’histoire de feu Philippe Pozzo di Borgo et son nouvel auxiliaire de vie, Bakari « Driss » Bassari. Intouchables vient séduire le cœur des gens en racontant, « avec profondeur », « le récit d’un homme devenu tétraplégique complet à la suite d’un accident de parapente et sa relation avec son accompagnant, un jeune homme des banlieues, initialement désintéressé par le handicap ». Larmes larmes larmes larmes larmes larmes larmes…

C’est peut-être un détail pour vous — vous l’aurez dans la tête pour la journée, ne me remerciez pas —, mais, de mon côté, c’est depuis ce sombre mercredi du pire mois calendaire, que mes proches et moins proches ont estimé que me hurler à tout bout de champ « Pas de bras… pas de chocolat », sans contexte ni raison, serait un trait d’esprit qui fait mouche. À l’échelle de 2024, voyez ça un peu comme le dernier trend TikTok — que même Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, se sentirait légitime à suivre et poster sur « l’internet ». Mais le mien, de trend, dure depuis bientôt 13 ans. 13 longues années d’hypoglycémie, à cause d’une « blague ».

Légumes anthropomorphisés : courgette en fauteuil roulant, panais avec lunettes de soleil et canne blanche, navets. Illustration humoristique sur le handicap et la diversité.
Midjourney : "A faceless zucchini in a wheelchair, and a faceless parsnip with dark glasses and a white cane"

En imaginant donc des politiques danser sur le dernier tube de BTS, je me suis demandé si, oui ou non, on osait rire du handicap. Pourquoi ? Comment ? Où ? Parce que ? Vous connaissez maintenant mon intérêt pour les questions qui rendent mal à l’aise.

🦐 « Les mongoliens, c’est comme les crevettes roses, tout est bon, sauf la tête »

Mais, bon, je ne vous le cache pas : des humoristes, en situation de handicap, en Suisse romande, autant vous dire qu’il n’y en a pas des masses. Un jour, il y a 8 ou 9 ans, j’ai voulu me lancer dans le stand-up, notamment pour cette raison. Une moitié de spectacle écrite, une première scène programmée… Et j’ai quand même renoncé, rattrapé par mon « vrai » métier et une « opportunité professionnelle qui ne se refuse pas » — comme disent les personnalités publiques qui veulent entretenir un suspens dont tout le monde s’en tape.

Profession : handicapé
12 ans dans le journalisme, 348 postulations, 4 entretiens d’embauche et zéro contrat fixe. Si les médias l’encouragent à « faire avancer “sa” cause », pourquoi ne l’embauchent-ils pas ? Malick Reinhard dénonce l’hypocrisie du milieu professionnel quant au handicap.

À lire également…

En potassant « l’internet » de von der Leyen, je me suis rappelé un sketch écrit et interprété par Patrick Timsit, en 1992 et 1995. « Les mongoliens, c’est des prototypes. On s’en sert pour prendre des pièces détachées. C’est comme les crevettes roses, tout est bon, sauf la tête », lance le Français avant de se lécher les doigts. Patrick Timsit fut jugé pour cette punchline en 1999, et aucune image du sketch n’existe actuellement sur le web.

« Aujourd’hui, j’ai l’impression que le handicap, c’est devenu un peu le fonds de commerce des humoristes qui veulent choquer, me raconte l’humoriste suisse Thomas Wiesel, intercepté quelque part entre Paris et Lausanne. La façon dont on traite du handicap, mais heureusement, cela a changé. Il y a 20 ans, effectivement, Timsit ou Elie Semoun imitaient des personnes en situation de handicap, assez gratuitement. J’ai revu un de ces sketchs, il y a quatre ou cinq ans à Paris, et, dans la salle, ça riait nettement moins. On sentait un malaise. »

Thomas Wiesel, il est plutôt bien placé pour parler du sujet. Il y a un peu plus de 40 ans, sa mère, infirmière de formation aux multiples métiers, fondait lʹassociation Handicamp, dont le but est de réunir des enfants avec et sans handicap durant les vacances. L’humoriste était parmi les premiers participants et y tient toujours un rôle aujourd’hui, sous une autre belle casquette, celle de « mono' ».

⚖️ Entre humour « spécialisé » et vie privée

Dans son avant-dernier spectacle, « Ça va » (2022), il parle brièvement de handicap, « mais pas plus que ça ». Lui, « valide », qui fait des blagues sur le handicap, sans préciser son lien avec celui-ci, il ne trouve pas cela franchement pertinent. Par contre, durant les camps de vacances : « On déconne vraiment, sans distinction de conditions physiques ou mentales. Des fois, c’est trash et c’est parfois choquant pour des personnes qui ne connaissent pas notre complicité. Mais, durant ces semaines, c’est ma vie privée, je suis avec des potes, on est entre nous et je ne vais pas avoir le même comportement sur scène que dans mon travail. »

Désormais, dans le stand up, on semble aborder le handicap de façon plus « responsable » et « spécialisée », pense Thomas Wiesel. Au même titre que le féminisme, la religion ou les comportements extrémistes. Mais, alors, pourquoi parle-t-on davantage de féminisme que de handicap, sur les scènes ? « Tout simplement parce que, pour le moment, les personnes en situation de handicap sont nettement moins médiatisées, observe le Lausannois dont le retour sur scène est prévu pour novembre. Donc, pour la majorité des humoristes, qui sont souvent blancs, hétéro', privilégiés et diplômés de HEC, c’est galère d’avoir des éléments pour en parler justement. »

En Suisse, il ne reste plus qu’à espérer que des humoristes, directement concernés par la thématique du handicap, se fassent une place dans le petit monde de l’humour professionnel. Au-delà de nos frontières, en France, il est rassurant d’observer une percée de nouveaux talents qui viennent dédramatiser leur situation, à l’image de Doully, Florence Mendez, Lilia Benchabane ou du jeune Quentin Ratieuville. Sans oublier Patrick Timsit et Elie Semoun, naturellement.


« Thomas Wiesel travaille », son dernier spectacle, est disponible en intégralité sur YouTube.


Retour au sommet en style