Bienvenue à Valid'land !
Qu'est-ce que le validisme ? Malick Reinhard interroge Céline Extenso du collectif Les Dévalideuses. « C'est une pensée qui considère les personnes handicapées comme inférieures », explique-t-elle. Entre modèle médical et social, décryptage d'un concept encore méconnu.

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Valid'land, c’est ce monde où l’absence de handicap est la norme, et où les comportements bienveillants déguisent souvent un validisme latent. Ce terme, encore méconnu, désigne une discrimination systémique qui place les personnes sans handicap comme modèle social.
Si le handicap est souvent perçu à travers un prisme médical – un problème individuel à corriger – d’autres modèles soulignent l’impact des barrières sociétales et des normes sur l’exclusion. Les militantes et militants, comme Céline Extenso, cofondatrice du collectif français Les Dévalideuses, dénoncent les « attitudes infantilisantes » et appellent à une participation active des personnes handicapées dans les décisions qui les concernent.
Toujours selon Céline Extenso, au-delà des bonnes intentions, déconstruire le validisme nécessite une remise en question collective de nos structures et de nos normes sociales.

Aaah, Valid'land ! Un bien joli pays, dans lequel on vit ! Ses larmes, sa charité, ses regards désolés, apeurés, son dédain aussi, et cette fausse bienveillance dégoulinante. Un monde où les compliments sonnent comme des offenses enrobées de fil d’or : « Tu es tellement courageuse ! » ou encore « Franchement, j’sais pas comment tu fais pour vivre avec ta p’tite chaise roulante ! Moi, j’pourrais pas… ». Valid'land, c’est ce monde où l’absence de handicap est la norme, où tout tourne autour de cette idée que marcher, voir, entendre, réfléchir ou comprendre sans difficulté est une sorte de pouvoir universel. Bienvenue !
Mais, au fait être en situation de handicap, ça veut dire quoi exactement ? Malheureusement, je n’ai pas quatre heures pour vous l’expliquer, mais à peine quelques signes pour l’effleurer. Il faudrait une thèse, une antithèse et peut-être un bon nombre de foutaises (dont la mienne), pour tenter de commencer à comprendre ce concept aussi circonstanciel que multifactoriel.

📚 Une certaine définition du handicap
Dans les années 50, on parlait « d’infirmes », puis « d’handicapés », ensuite de « personnes handicapées », et maintenant de « personnes en situation de handicap ». Cette valse terminologique n'est pas qu'une coquetterie linguistique — c'est l'histoire d'une société qui ne sait toujours pas comment nous appeler sans se sentir mal à l'aise. En 2025, certains militants se revendiquent « handis » avec la fierté d'un badge épinglé au revers, pendant que d'autres s'arrachent les cheveux devant ce qu'ils considèrent comme une nouvelle case identitaire. Comme quoi, même les mots pour nous désigner sont impotents.

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La Classification internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), publiée en 2001 et toujours d'actualité en 2025, nous explique doctement que :
CIF, OMS / 2001
En somme, et toujours selon cette définition, ce n’est pas tant le corps qui pose problème qu'un monde indifférent à tout ce qui s’éloigne d’un certain modèle de « bonne santé ». Le handicap reflète donc avant tout la manière dont une société répond arbitrairement à la singularité biologique de certains individus.
🤔 Le vali… quoi !?
Mais ce modèle de « production du handicap » n’est pas encore majoritaire dans l’opinion publique. La croyance actuelle privilégie ce que les sociologues appellent le « modèle médical » du handicap. Ce genre de perceptions de la différence, ça s'appelle le « validisme ». Une sorte de handicap mental de personnes « valides », apparu aux États-Unis au début des années 80 — et IAM n’y est pour rien, c’est promis.
🧠 Découvrir les modèles de production du handicap
🧑⚕️ Le modèle médical
Le handicap est vu comme un problème individuel, directement lié à la condition physique ou mentale de la personne, qui nécessite un traitement ou une guérison. C’est aujourd’hui le modèle de pensée majoritaire dans nos sociétés occidentales.
💬 Le modèle social
Le handicap est le résultat des barrières sociétales et environnementales qui limitent l'accès et la participation des personnes ayant des déficiences physiques, sensorielles, intellectuelles et/ou psychiques.
⚖️ Le modèle biopsychosocial
Il s’agit d’un modèle, introduit par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avec la Classification internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), intègre des éléments des modèles médical et social.
🇺🇳 Le modèle des Droits de la personne
Le handicap est abordé sous l'angle des droits de la personne, où les principales préoccupations sont l'égalité des droits et la non-discrimination, peu importe la véritable nature de celui-ci.
Autrement dit, le validisme, appelé également « capacitisme », fait de la personne sans handicap reconnu, ou capable, « la norme sociale », précise Céline Extenso, cofondatrice du collectif français Les Dévalideuses. « C'est un comportement social typique. Si l'on a un handicap, on sera toujours considérés comme moins enviables, inférieurs, "moins bien". Quotidiennement, cela se traduira par des discriminations structurelles, et l'association du handicap à des choses négatives.»
🫥 Une discrimination invisible
On commence à se connaître, et je vous vois déjà venir : voilà encore un néologisme inventé spécialement pour permettre à une énième minorité de se victimiser. Or, pour Céline Extenso et son collectif : « La vérité, c'est que le validisme existe depuis toujours, mais vous ne le connaissez pas, ou peu. » Avant d'ajouter: «La particularité d'une oppression, c'est qu'elle est subie par un groupe de personnes, et si on est en dehors de ce groupe, on peine à voir la réalité de la chose. »

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On serait presque tenté de clarifier le fait qu'avoir de bonnes intentions et une attitude bienveillante n'empêche en rien le développement d'un comportement infantilisant à l'égard de la personne handicapée. En tant que personne vivant avec un handicap, on est parfois tenté de vouloir devenir invisible. La militante développe d'ailleurs : « Les gens qui nous disent ça le font avec plein de bonnes intentions, mais pour nous, c'est pénible, parce que c'est disproportionné, poursuit-elle, revendiquant le droit pour une personne handicapée de passer inaperçue lorsqu'elle poursuit des études ou conduit une voiture. C'est presque humiliant, parce qu'en soulignant ces choses, on nous met en marge du monde.»
Pourtant, les politiques publiques peinent encore à intégrer cette complexité, préférant souvent traiter séparément les différentes formes de discrimination. Face à ce système, des mouvements de résistance, à l'image des Dévalideuses, émergent et se structurent. Et l'on observe une évolution significative dans leurs approches et revendications : d'une démarche principalement axée sur l'assistance et la réadaptation, les collectifs passent progressivement à une perspective de Droits de la personne et de justice sociale.
Il ne s'agit pas "d'oublier" le handicap, mais de l'accepter comme un élément de la diversité humaine. — Céline Extenso, cofondatrice des Dévalideuses
🗑️ Ne pas « oublier » le handicap
L'aphorisme « Nothing About Us Without Us » (Rien sur nous sans nous) s'impose d'ailleurs, pour ces mouvements, comme une exigence fondamentale. « Il ne s'agit plus seulement d'être consultés, mais de participer pleinement aux décisions qui concernent les personnes handicapées. Cette revendication de pouvoir marque un tournant dans la manière dont le handicap est appréhendé politiquement », complète Céline Extenso.
Une certaine analyse du validisme met en lumière un système profondément ancré dans nos structures sociales, économiques et culturelles. Pour la militante parisienne : « Comme toute forme de discrimination systémique, le validisme ne disparaîtra pas par la simple bonne volonté individuelle. Il nécessite une remise en question collective des normes et des structures qui le perpétuent. Il ne s'agit pas "d'oublier" le handicap, mais de l'accepter comme un élément de la diversité humaine. »
Valid'land est donc toujours là — et bien là ! Avec ses regards hagards et ses marches d'escalier. Mais ses frontières s'estompent peu à peu. La prochaine fois qu'on vous dira « Mais j'te jure, j'vois même plus ton fauteuil », répondez simplement : « Moi non plus, je ne vois plus tes pellicules, juste ton extraordinaire talent pour l'invisibilisation sélective. » Et observez la confusion s'installer sur son visage, comme un ascenseur en panne au rez-de-chaussée d'un bâtiment sans rampe d'accès. Après tout, dans ce merveilleux pays, les bonnes intentions sont comme les places handicapées : toujours occupées par celles et ceux qui n'en ont pas besoin.